La crise du Coronavirus

Cette lettre sera toute entière consacrée à l’analyse de la crise liée à l’épidémie du Covid-19, le coronavirus, déjà abordé lors de la réunion de l’atelier du 4 février dernier.

Il y a encore un mois, mi-février, le monde observait avec curiosité la Chine et son épidémie. Toute l’attention était tournée sur les conséquences de l’épidémie sur leur société et leur système politique, dont on se demandait s’il n’en serait pas déstabilisé. Aujourd’hui, ce 20 mars, alors que pour la première fois aucune nouvelle contamination locale n’a été recensée en Chine et que le pouvoir politique semble avoir maîtrisé la crise sanitaire, le monde entier est rentré dans la pandémie. On est désormais dans la mondialisation effective de l’épidémie.

Dire que l’épidémie du Covid-19 est la première grande pandémie de la mondialisation signifie ceci. Elle n’est pas en soi le premier grand choc sanitaire mondialisé. Mais elle va impacter toutes les facettes de la mondialisation en cours, sociale, économique, culturelle, juridique. Sans que l’on sache encore aujourd’hui de quelle façon précise. Il est bien trop tôt. Mais on en perçoit certains signes.

L’épidémie du Covid-19 n’est pas à proprement parler le premier grand choc sanitaire mondialisé.

La comparaison doit être faite avec les deux grandes pandémies historiques, celle de la grande peste noire du 14e siècle ayant touché l’Europe, l’Asie et l’Afrique, et celle de la grippe « espagnole » de 1918 (en fait, d’origine américaine), d’abord étendue à l’Europe puis à l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Toutes deux avaient touché par propagation quasiment l’ensemble du monde de leur époque et avaient fait des dizaines de millions de morts.

Mais, à notre époque, cette pandémie est la première à être réellement mondialisée. Les épidémies précédentes du SRAS, du MERS, d’Ebola, avaient été régionales et avaient tué en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique. Le Covid-19 tuera dans le monde entier. Cette nouvelle pandémie, aux yeux de tous les spécialistes, n’est encore que dans sa phase ascendante.

Elle est partie de la Chine, comme le SRAS de 2002 dont on disait encore fin janvier qu’il avait été plus meurtrier que le Covid-19. Après un premier mois d’aveuglement et d’inertie entre mi-décembre et mi-janvier, les autorités chinoises ont pu freiner, puis, semble-t-il, stopper le processus.

Aujourd’hui, c’est l’Europe occidentale qui est au cœur de la contagion, depuis que deux touristes chinois ont été testés positifs en Italie fin janvier et qu’un foyer de quinze cas a été confirmé en Lombardie le 20 février. À l’heure actuelle, l’Italie dépasse la mortalité chinoise.

Actuellement, on assiste à une division nord/sud entre les mondes développés fortement impactés par l’épidémie et les mondes du sud, dont l’Afrique, beaucoup moins touchés. Cette situation s’explique certainement par l’intensité des échanges humains et économiques entre les mondes développés (Chine, Europe, États-Unis).

La question encore posée aujourd’hui est de savoir si les cas détectés dans le monde entier ouvriront demain la voie à d’autres grands foyers d’épidémie, aux États-Unis ou en Afrique. Il est tout à fait prématuré de dresser la géographique mondiale ainsi que les cartes régionales de la nouvelle pandémie. Il faut attendre de voir de quelle façon les États-Unis, la Russie, l’Amérique latine et l’Afrique seront impactées. La réponse sera apportée dans les deux mois à venir. On verra alors plus clairement quelle aura été la géographie mondiale de l’épidémie.

Mais d’ores et déjà, on peut constater à quel point cette pandémie vient ébranler toutes les facettes de notre monde mondialisé.

D’abord, il apparaît qu’en l’espace d’un mois, entre février et mars, le coronavirus a engendré une peur mondialisée. On est là au cœur de la mondialisation sociale, qui est celle de la « porosité » croissante des États, des frontières, des échanges humains, celle qui résulte de la transformation continue et irréversible de notre monde en un grand « village global ».

En un mois, la perception du coronavirus a été bouleversée. Il a surgi une peur immense face au virus, perçu comme un danger mortel nouveau face auquel on se sent totalement démuni, à la nuance près des populations asiatiques qui ont eu l’expérience et ont gardé la mémoire des pandémies précédentes dont celle du SRAS. Le nouveau virus est devenu un risque majeur immédiat pour tous les segments de l’humanité, de l’Iran à la Californie. Toutes les sociétés et tous les dirigeants politiques ont pris peur et ont commencé à réagir.

Ce qui était une affaire chinoise, puis asiatique, puis italienne, est devenue une peur mondiale. Chacun est train de réaliser à ses dépens à quel point notre monde était devenu un village global dans lequel ce qui se passe à un bout se répercute à l’autre bout. Cette grande peur mondialisée est une première. Certes, il émerge une grande peur de la détérioration écologique du monde, mais cette peur est encore diffuse et parcellaire. La peur du virus Covid-19 est brutale, massive, intense.

Cette peur mondialisée entraînera très probablement des conséquences géopolitiques à terme, soit dans le sens de la fermeture au monde, un nouvel affrontement des cultures et des sociétés, par la fermeture des frontières ou les restrictions de circulation imposées à certaines nationalités, soit dans le sens opposé de la coopération mondiale accrue, notamment par le renforcement de la solidarité au sein de l’Union européenne et l’action collective accrue du G7 et du G20. La peur peut être mauvaise conseillère comme elle peut être bonne conseillère.

Mais il me semble que, d’une façon ou d’une autre, les peuples prendront conscience que les vraies solutions seront collectives et non pas individuelles, même s’il s’agit d’abord de se protéger chez soi par ses propres moyens. On le voit bien dans le domaine de la recherche médicale du produit contre le virus, liée à la coopération entre des équipes scientifiques internationalisées.

La pandémie actuelle est également en train de bousculer la mondialisation économique en créant une crise économique majeure à comparer à celle de 2008.

La crise de 2008 avait trouvé sa source dans un choc endogène, la vulnérabilité de nombreuses banques américaines engagées dans des opérations financières spéculatives. Cette crise était d’origine financière et américaine. Tout avait démarré par la crise des subprimes, ces prêts hypothécaires à risque accordés à de futurs propriétaires américains pour l’achat de leur maison, sur lesquels s’étaient précipités de nombreux établissements financiers américains mais également européens. Dès lors que ces prêts ne pourront plus être remboursés par leurs emprunteurs, la crise naîtra. Cette crise de 2008 avait été celle de nombreux organismes financiers publics et privés, ce qui avait produit une récession économique profonde.

La crise économique actuelle a trouvé sa source dans un choc exogène, une épidémie sanitaire. Elle a d’abord été industrielle et chinoise. La deuxième économie mondiale qu’est la Chine s’est pratiquement arrêtée mi-janvier à partir du confinement de la province du Hubai. La croissance initiale chinoise de 6 % est tombée à 2,3 %. L’impact mondial a été immédiat, parce que la Chine est tout à la fois le premier « atelier du monde », le premier exportateur mondial, le second consommateur mondial, le premier importateur mondial de pétrole. L’arrêt des chaînes de production chinoises est en train d’entraîner un arrêt de l’approvisionnement de multiples entreprises dans le monde. Notre monde est devenu très, peut-être trop, dépendant de l’économie chinoise, par nos importations et par nos exportations.

Aujourd’hui, à la mise à l’arrêt de l’économie chinoise, s’est rajouté l’arrêt de grandes économies européennes et le début de l’arrêt de l’économie américaine. Partout, les politiques de confinement et de restriction de la circulation entraînent une chute brutale de la production des industries et une baisse drastique de la consommation, conséquemment le risque de nombreuses faillites et fermetures d’entreprises et une entrée dans une récession mondiale. Cette perspective inquiétante a déjà généré un krach boursier plus brutal que celui de 2008.

On n’est qu’au début de cette crise économique mondiale. On ne sait pas encore comment vont réagir les grandes économies mondiales. Vont-elles se refermer chacune sur soi ? En réalité, c’est devenu impossible, tant les économies sont devenues interdépendantes. Cependant, demain, la question qui se posera sera celle de la « désinisation » de certaines productions, de façon à moins dépendre de la Chine, c’est-à-dire le retour en Europe de certaines chaînes de production (médicaments, masques…).

L’autre question qui est posée est la suivante : comment en temps de paix organiser des économies nationales comme des économies de guerre pour sauver l’économie ? D’ores et déjà, l’Union européenne joue le jeu de la solidarité avec l’Italie en abandonnant sa traditionnelle politique d’équilibre budgétaire.

Enfin, la pandémie du Covid-19 peut avoir des conséquences géopolitiques sur certaines puissances. Rappelons que la grande peste noire du 14e siècle avait entraîné à terme l’effondrement de l’Empire byzantin devant les assauts de la puissance ottomane. Va-t-il y avoir une forte crise de confiance entre la société chinoise et le pouvoir ? Que va-t-il se passer en Iran ? Y aura-t-il un effet Covid-19 sur l’élection présidentielle américaine ?

Concluons en disant que l’on n’est encore qu’au début des choses. On est encore dans la phase ascendante de la crise sanitaire mondiale. On n’est encore qu’au tout début des conséquences géopolitiques de la crise.

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