Écologie et géopolitique

L’eau, la terre et l’air, éléments vitaux pour l’espèce humaine.

Les catastrophes à répétition de l’année 2022 – sécheresses et canicules extrêmes, méga-feux de forêts des États-Unis à la Sibérie, étiage minimum de plusieurs grands fleuves, mousson dramatique du Pakistan qui a fait plus de 3 000 morts – ont été une alerte supplémentaire nous faisant savoir que le monde est en train de changer d’ère. Le monde est entré dans l’ère de l’anthropocène.

La prise de conscience de ce changement d’ère, opérée dans ces 50 dernières années, a conduit à la naissance d’un nouveau domaine de l’action publique, l’écologie, qui est l’action menée en vue de la préservation de notre globe d’une dégradation pratiquée par l’homme. La terre n’est plus un objet passif, elle est devenue un sujet vital qui fait l’objet de débats et de décisions politiques consacrés à sa survie. Le monde est entré dans l’ère de l’écologie.

La géopolitique classique est faite de l’affrontement des puissances entre elles. Mais, aujourd’hui, cette prise de conscience d’une dégradation progressive et irréversible du globe par l’homme a conduit les puissances à coopérer au-delà de leurs rivalités et de leurs affrontements politiques. La géopolitique de l’écologie est d’abord la construction d’une gouvernance globale de la Terre. Mais, en parallèle, l’écologie devient un champ nouveau de l’affrontement des puissances, sur les politiques énergétiques et les sources d’énergies renouvelables, sur la voiture électrique et les batteries, sur l’eau et l’alimentation de demain. La géopolitique de l’écologie est tout à la fois une gouvernance globale et une nouvelle compétition mondiale.

I. L’entrée dans l’ère de l’anthropocène

Pour comprendre le problème climatique actuel, il faut rappeler ce qu’est le mécanisme climatique.

1. Qu’est-ce que le climat ?

Le grand thermostat de la température qui règne sur la Terre est l’atmosphère. Nous ne vivons pas à proprement parler sur la Terre, mais dans une bulle fragile, la bulle de protection constituée par l’atmosphère. Cette dernière est composée pour deux tiers de vapeur d’eau et pour un tiers de différents gaz, notamment le CO2, l’ozone et le méthane. Ces deux composants liquide et gazeux de l’atmosphère font office tout à la fois d’absorption et d’émission des radiations thermiques. Ils sont tout à la fois une « prison » de l’énergie thermique renvoyée par la Terre et un réémetteur de cette énergie vers la Terre. Si 30 % du rayonnement solaire subi par la Terre est directement renvoyé par la surface de la Terre, 50 % est absorbé par la surface terrestre et les 20 % restants sont envoyés dans l’atmosphère. Au final, le climat de la Terre, sa chaleur, est la combinaison du rayonnement solaire absorbé par la Terre et du rayonnement renvoyé par l’atmosphère.

L’atmosphère constitue ainsi une sorte de « serre » entre la surface terrestre et le rayonnement solaire, un régulateur des flux thermiques de la Terre. Sans l’effet de serre naturel produit par les gaz contenus dans l’atmosphère, la Terre serait une boule de glace à – 18 degrés, sans eau liquide. La chaleur renvoyée sur Terre par l’atmosphère régule la température de cette dernière, établissant celle-ci à une moyenne de 15 degrés. Cet effet de serre naturel produit par l’atmosphère constitue un « manteau » nécessaire à l’équilibre thermique de la Terre. Les gaz à effet de serre contenus naturellement dans l’atmosphère sont donc indispensables à la vie.

Ces gaz à effet de serre de l’atmosphère ont connu dans l’histoire de la Terre, sur la longue durée, une évolution de leur concentration naturelle, ce qui explique pour une bonne partie les grandes variations climatiques qu’a connues la Terre dans les différentes ères géologiques.

L’effet de serre.

2. La Terre a connu une grande variété de climats allant de la glaciation à la surchauffe

L’échelle officielle des temps géologiques exprime les grands événements survenus dans l’histoire de la Terre intervenus depuis 4,6 milliards d’années.

Depuis la grande crise de la fin du secondaire, il y a 65 millions d’années, la Terre a d’abord connu, au début de l’ère tertiaire, l’époque de l’éocène marquée par un réchauffement brutal du climat, l’un des plus extrêmes qu’ait connu la Terre. La température moyenne est alors supérieure de + 14 degrés par rapport à celle de notre ère préindustrielle, climat devenu la norme climatique. La fin de l’éocène est marquée par un refroidissement rapide. Le miocène, période intermédiaire de l’ère tertiaire s’étendant de 23 millions à 5 millions d’années, période de la division entre les singes et les hominidés, est la continuation d’un long refroidissement. Le pliocène, allant de 5 millions à 2,5 millions d’années, ère de la naissance de Lucy, connaît des cycles climatiques très divers allant du réchauffement à la glaciation. L’ère quaternaire s’ouvre par la période géologique du pléistocène s’étendant de 2 millions d’années à 11 000 ans. Marquée par l’extinction des mammifères géants et l’apparition de l’homme moderne, elle connaît à la fin, entre – 100 000 et – 10 000, un long cycle glaciaire très prononcé avec 30 % de la terre couverte de glace et une température moyenne de 0 degré à – 6 degrés.

La terre est entrée dans la période géologique de l’holocène depuis 10 000 ans, notre ère actuelle. L’holocène est un cycle naturel de lent réchauffement climatique, permettant l’expansion territoriale de l’homme, la sédentarisation et l’agriculture, et conduisant à la protohistoire.

Ce rappel de notre longue histoire géologique montre à quel point la Terre a connu de grandes variations climatiques naturelles, l’alternance de périodes de surchauffes et de glaciations extrêmes. Les variations climatiques naturelles s’expliquent par un double processus : l’augmentation naturelle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère liée aux « soubresauts » de la Terre, dont les éruptions volcaniques ; et des évolutions fortes de la circulation des courants océaniques. Mais ces variations climatiques, tel le passage d’une ère glaciaire à une ère chaude, se sont produites au rythme de l’histoire géologique de la Terre. Elles se sont étalées à chaque fois sur plusieurs dizaines de milliers d’années.

3. Le réchauffement climatique actuel

En l’an 2000, le météorologue Paul Joseph Crutzen, prix Nobel de chimie 1995, et le biologiste Eugène Stoermer affirment l’entrée de la Terre dans une nouvelle ère qui serait celle de « l’anthropocène », l’ère de l’humain. La doctrine de l’anthropocène affirme le lien de cause à effet entre la chute brutale et accélérée des équilibres naturels de la planète et l’envolée de l’activité économique de l’homme. Celle-ci aurait débuté à la fin du 18e siècle lorsque la révolution industrielle a ouvert l’ère de la domination complète de l’homme sur la nature et a créé le cycle de son appropriation, de son exploitation, de sa dégradation, et de sa future extinction. L’histoire de la relation entre l’homme et la nature a été pendant des millénaires une très longue histoire de conquête et d’exploitation qui arrive à son point d’arrivée, la domination totale de la nature par l’homme. Mais ce point d’arrivée est le point de départ de la destruction accélérée de la planète.

Le succès médiatique du concept de l’anthropocène est tel qu’il est consacré tant par les scientifiques que par les politiques, même s’il n’est à ce jour toujours pas reconnu officiellement par les instances officielles des géologues.

Shanghai, 21e siècle.

Arriverait-on aujourd’hui à ce moment de l’histoire où la Terre deviendrait une future Vénus par le fait de l’homme ? Existe-t-il aujourd’hui un réel processus d’extinction de la vie terrestre du fait de l’homme lui-même ?

Pendant presque toute l’histoire de l’humanité, la relation homme/nature a été une relation entre des « personnes » et des « choses ». La nature était une chose.

Dans la Genèse, le premier livre de la Bible, Dieu dit à l’homme : « Emplissez la terre et soumettez-la ». Durant des millénaires, l’homme emplit la Terre et la soumet à sa volonté. La nature doit être « productive » pour le bien de l’homme. Selon Descartes, « La nature est une chose étendue et flexible dont l’homme est maître et possesseur », d’où une différence de nature entre l’humain et le non-humain qui justifie un rapport de domination entre la société et son environnement. Buffon, dans son ouvrage Les Époques de la nature, dit la même chose : « Aujourd’hui, la Terre tout entière porte l’empreinte de la puissance de l’homme. » La philosophie des Lumières exalte la toute-puissance de l’homme. Bacon dans La Nouvelle Atlantide, affirme qu’il faut repousser toutes les limites de l’empire humain pour réaliser « toutes les choses possibles ». Et Jean-Baptiste Say, dans son Traité d’économie politique de 1803, reprend ce thème : « Le progrès s’accomplit par la transformation de la nature dont les richesses sont inépuisables. »

Le 19e siècle est le siècle de la toute-puissance de l’Europe et de sa civilisation industrielle qui voit s’épanouir la pensée « productiviste » moderne fondée sur la croissance et le progrès. L’État moderne se doit alors d’être « développementaliste » et de soutenir des politiques de croissance et de productivité pour assurer la sécurité et le bien-être de sa population. Cette pensée occidentale devient universelle au 20e siècle. Elle conduit à mettre en œuvre le principe de transgression appliqué à la nature. Celle-ci est une « chose inerte » qui peut être exploitée en tant que source infinie de richesse.

Mais, effectivement, depuis la fin du 19e siècle, l’accroissement des gaz à effet de serre (appelés le plus souvent par l’acronyme GES) n’est plus seulement naturel. Il est devenu « anthropique », c’est-à-dire lié à l’homme, à la révolution industrielle que celui-ci a entreprise. Le ppm, c’est-à-dire le nombre de molécules de gaz carbonique (CO2) par million de molécules d’air, a progressé de façon exponentielle. Le degré de concentration de CO2 dans l’atmosphère a été un chiffre stable depuis les origines de l’humanité, de l’ordre de 200 ppm et ce, jusqu’à la fin du 19e siècle. Il atteint en un siècle le degré de 400 ppm. C’est également le cas pour le méthane, l’ozone et les autres gaz carbonisés.

Certes, l’absorption d’une grande partie de ces gaz émis par l’homme se fait dans les « puits de carbone » que sont les océans, les sols, la végétation et les forêts. Mais un tiers de ces gaz part dans l’atmosphère et s’ajoute aux GES naturels. Ces 30 dernières années, on assiste à une progression des rejets de CO2 de 60 %, due à la consommation exponentielle des trois carburants que sont le charbon, le pétrole et le gaz par les cinq grands secteurs de l’économie que sont les centrales thermiques à charbon et au gaz, l’agriculture du fait de l’élevage et des engrais, l’industrie, les transports et le bâtiment.

L’élévation naturelle de la température a été de + 6 degrés entre l’ère glaciaire d’il y a 20 000 ans et le 19e siècle. L’élévation anthropique de la température terrestre a été de + 1,2 degré en moins de 2 siècles, depuis l’ère préindustrielle. Cela peut paraître minime. En réalité, c’est considérable quant à la vitesse et à l’amplitude du réchauffement. Aujourd’hui, au rythme actuel des émissions de GES, on est sur le scénario d’un réchauffement continu du climat de + 0,2 degré tous les 10 ans, conduisant au-delà de + 2,5  degrés d’ici la fin du siècle.

Ce réchauffement « anthropique » a des conséquences reconnues aujourd’hui sur l’environnement de l’homme, le climat, les terres, les océans. On doit bien faire le constat de la multiplication des catastrophes climatiques exceptionnelles affectant le monde entier, les canicules à répétition, la désertification, les sécheresses, les inondations, les méga-incendies. De même, on doit faire le constat de l’amplification des changements de l’environnement, le scénario en 2070 d’un climat saharien de la Méditerranée à l’Inde du sud, « l’expansion des tropiques », l’élargissement de « la bande d’impact » des cyclones et des inondations, la fonte des banquises, des calottes glaciaires et des glaciers, l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement et l’acidification des océans, la disparition des grandes forêts. Or tous ces écosystèmes sont essentiels à la vie humaine, car ils sont tout à la fois des puits de gaz carbonique et des lieux de la richesse de la biodiversité. L’activité humaine est en train de transformer ces écosystèmes en « bombes climatiques ».

Les transformations actuelles de la cryosphère, c’est-à-dire toute l’eau solide présente sur la Terre, sont la plus forte illustration de ce basculement. La fonte accélérée des deux calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique ainsi que la réduction de la banquise et des icebergs de l’Arctique entraînent l’élévation des niveaux marins au niveau de 3 centimètres/an, alors que 700 millions de personnes, notamment en Asie, en Chine, au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Japon, aux Philippines, vivent entre 0 et 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les grands glaciers des Alpes, du Svalbard, de l’Alaska, de l’Himalaya sont les plus grandes réserves d’eau douce terrestre. Ils stockent l’eau et, selon les saisons, approvisionnent le Rhône ou les fleuves indiens du Gange, de l’Indus et du Brahmapoutre. Leur fonte signifie une rupture d’alimentation en eau de ces grands cours d’eau auxquels s’abreuvent des millions d’êtres humains.

4. La chute de la biodiversité

Parallèlement au réchauffement climatique, il est une autre face de la dégradation de notre planète provoquée par l’action humaine : la destruction de la biodiversité (sols, eaux, animaux, végétaux) à un rythme et une étendue jamais atteints.

L’agriculture productiviste, notamment la « révolution verte » des années 1960-1990 conduisant à l’usage intensif des engrais, des phosphates et des pesticides, entraîne l’épuisement et l’érosion agricole par la disparition de l’azote et du phosphore, notamment en Asie. Or des sols vivants sont une condition essentielle pour l’alimentation de la population humaine, qui s’élèvera demain à 10 milliards d’individus. L’exploitation intense de la Terre provoque la disparition de la terre nourricière.

La prolifération des mégapoles urbaines entraîne l’artificialisation des sols par la bétonisation, ce qui détruit les puits de carbone que sont les sols naturels. La pollution industrielle et les plastiques, dont la croissance est exponentielle, génèrent des déchets à très longue durée de vie aboutissant dans les sols, les eaux et les océans sous la forme de microparticules.

La déforestation accélérée détruit les forêts, à l’image du « basculement » des forêts tropicales de l’Afrique à la forêt amazonienne et aux forêts indonésiennes déjà détruites à plus de 20 %, alors même que celles-ci sont autant de puits de carbone capturant 10 % des émissions des GES.

La destruction des ressources en eau douce liée aux effluents agricoles et industriels conduit à une raréfaction progressive de l’eau douce, alors même que l’augmentation de la population accroît les besoins.

On assiste en parallèle à la dégradation des océans avec la pollution et la surpêche industrielle pratiquée par les industries halieutiques de Chine, de Taïwan, du Japon, d’Indonésie, de Corée du Sud et d’Espagne.

On observe également ce que l’on appelle la « 6e extinction des espèces », après la 5e extinction des dinosaures et grands mammifères d’il y a 65 millions d’années. En témoigne la chute, voire l’extinction progressive, de nombreuses espèces vertébrées sauvages, des oiseaux, des insectes, dont les abeilles, grands pollinisateurs des plantes, des cultures et des fleurs sauvages.

Par la transformation des sols, par la surexploitation des ressources, par les pollutions, l’homme détruit sa planète.

Il y a une circularité entre les deux facettes de la dégradation de notre planète que sont le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité. Ainsi, le réchauffement des océans, en augmentant leur acidité, détruit les récifs coralliens et une partie des ressources halieutiques. De même, la déforestation humaine détruit les puits de carbone naturels que sont les grandes forêts, accroissant d’autant la concentration de carbone dans l’atmosphère.

II. La naissance de l’écologie

Dès la fin du 19e siècle, la loi du réchauffement climatique, établissant le lien entre la croissance arithmétique de la température et la progression géométrique de la quantité de CO2 dans l’atmosphère, était découverte. Mais il faudra attendre les années 1960 pour que l’humanité commence à prendre conscience des dégâts causés par le réchauffement climatique et se pose la question de sa propre responsabilité. Et il faudra attendre encore un demi-siècle de recherches et de débats, entre les années 1960 et aujourd’hui, pour que, sous la double pression des événements climatiques et environnementaux et de l’action des théoriciens et des militants de l’écologie, le lien soit établi entre la dégradation de notre Terre et l’action de l’homme sur le climat et la nature. Aujourd’hui, on est à peu près sorti de la polémique passionnée entre « l’écologisme » et le « climato-scepticisme » qui a régné dans les décennies précédentes et a bloqué toute action. Entre les militants, les peuples et les États, il s’est ainsi construit un certain consensus mondial sur la nécessité d’une politique écologique.

Durant ces 50 dernières années, il y a une « politisation » de l’écologie. S’ouvre alors un grand débat sur le « Qui ? », le « Quoi ? », et le « Comment ? ».

Qui est responsable ? Les industriels ou, plus largement, le système capitaliste ou, encore plus largement, le mode de vie productiviste et consumériste pratiqué dans le monde entier ?

Quoi faire ? Faut-il simplement changer de politique énergétique et de politique des transports ? Ou faut-il aller jusqu’à sortir de l’économie capitaliste ? Ou faut-il encore aller plus loin et changer de vie ? Autrement dit, l’écologie est-elle une simple technologie, une politique, une révolution sociale ou encore une éthique et un mode de vie ?

Comment faire évoluer les gouvernements et les sociétés ? L’écologie, depuis ses origines, a été partagée entre les partisans de la « radicalité » de l’action, tels la pénétration des centrales nucléaires et d’autres formes de désobéissance civile, et un « réformisme » basé sur des actions consensuelles et pacifiques ainsi que sur l’action politique classique.

Les grandes approches apparues dans les 50 dernières années sont le terreau des débats et des politiques écologiques actuels.

1. Les années 1960

Le véritable point de départ de l’écologie est les années 1960. L’écologie a d’abord été le fait de certaines personnalités.

Les premiers événements marquants ne concernent pas encore le climat mais viennent pour la première fois souligner les « dérives » de l’homme détruisant son environnement. Les premières contestations de la société de consommation sont exprimées par le sociologue et théologien protestant Jacques Ellul, le philosophe Bertrand de Jouvenel ou encore André Gorz, le cofondateur du Nouvel Observateur. Elles accompagnent le choc causé par la première pollution au mercure vécue par le Japon (Minamata), puis, en 1962, le retentissement mondial du livre choc de Rachel Carson, Le Printemps silencieux, sur les ravages des pesticides dont le DDT provoquant l’extinction des insectes et des oiseaux, puis, en 1967, le scandale de la pollution de la Manche due au naufrage du pétrolier Torrey Canyon. C’est à cette époque que naissent les premières associations écologiques, dont les Amis de la Terre.

2. Les années 1970-1980

En 1972, l’électrochoc du rapport Meadows du Club de Rome crée le premier débat mondial lié à la survie de la planète. Le couple Meadows, chercheurs au MIT, affirme « les limites à la croissance ». À partir de la modélisation de 12 scénarios de développement de l’humanité liant population, ressources, industrie, agriculture, pollution, ils en concluent à l’incompatibilité entre les deux réalités mises en évidence, la « croissance exponentielle » et « la limite des ressources terrestres ». Le monde est fini, et il n’est pas durable tel quel si les évolutions technologiques et les courbes économiques se poursuivent au rythme actuel. Le rapport Meadows privilégie le scénario du « pic de croissance » suivi de « l’effondrement », un scénario qui ne pourrait être évité que par une trajectoire qui se rapprocherait de « la croissance zéro ». Un débat mondial passionné naît de ce rapport, nourri de la vive critique des économistes et des dirigeants politiques de l’époque, tous partisans de la croissance maximale. Apparaît le clivage entre « l’économisme » et « l’écologisme », entre la croissance à tout prix et la nature à tout prix.

Dans la foulée du rapport du Club de Rome, il surgit en France à l’élection présidentielle de 1974 la candidature de l’agronome tiers-mondiste René Dumont, dont le directeur de campagne Brice Lalonde, venu des Amis de la Terre, devient le premier acteur politique de l’écologie. C’est la toute première fois où l’on entend parler du vélo, de l’antinucléaire, des éoliennes, des immeubles végétalisés, de l’eau rare. Le score de René Dumont sera de 1,3 %.

Les années 1970 sont celles des premières réflexions sur l’humanisation du « non-humain » que sont la nature, les arbres, les animaux, la terre et la mer. La figure de proue en est le climatologue anglais J. Lovelock, dont la théorie de la personnification de la terre, Gaïa, et de sa régulation par l’ensemble des êtres vivants, dont les bactéries, marque les esprits. La filiation de Lovelock sera assurée dans les décennies suivantes par le philosophe Bruno Latour et sa thèse sur l’unité de notre « monde Gaïa », ou par l’anthropologue Ph. Descola, lequel rejette la philosophie des Lumières de la distinction entre l’homme sujet et la nature objet et fait valoir une philosophie du vivant reposant sur l’unité humain/non-humain.

1988 est une année caniculaire aux États-Unis. Dans ce contexte particulier, l’audition « choc » du climatologue de la Nasa, James Hansen, devant le Sénat américain, sur la responsabilité humaine du réchauffement de la planète et sur la transformation de la terre en une future Vénus, fait complètement entrer le sujet du climat dans le débat public américain, puis mondial. L’audition de James Hansen lance le débat mondialisé entre les « climatosceptiques », convaincus de l’origine naturelle des évolutions de la planète, et ceux qui affirment la réalité du dérèglement et son origine humaine.

La contestation nucléaire est un autre acte de naissance de l’écologisme. En France, la « victoire de Plogoff » de 1981 contre le projet d’installation d’une centrale nucléaire est la première manifestation d’un mouvement « écologiste » de base cristallisé sur l’antinucléaire. Il va naître alors le « débat impossible » sur le nucléaire. L’énergie nucléaire est considérée par les uns comme la seule énergie alternative immédiate, propre et abondante, et par les autres comme le mal absolu et un danger majeur pour l’humanité par le risque de l’accident nucléaire et par les « déchets » de haute activité. C’est du rejet du nucléaire, et non pas de la lutte climatique, que naissent les grands partis écologistes européens. Les drames de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011 nourrissent cette contestation.

3. L’écologie anticapitaliste

La conviction de la responsabilité première du système capitaliste dans la dégradation de la planète est présente dans la plupart des mouvements écologistes. Elle est d’origine anglo-saxonne.

La pensée du philosophe et militant de la nouvelle gauche américaine, Murray Bookchin, en est le point de départ. Son maître mot est que « l’écologie n’est pas scientifique mais politique ». Sa critique du capitalisme et de l’Occident le conduit à affirmer que l’idée de dominer la nature découle naturellement de l’idée de la domination de l’homme sur l’homme. Le capitalisme, parce qu’il crée un rapport de domination entre une classe économique, la bourgeoisie, et les autres classes économiques, le reproduit également entre l’homme et la femme, entre une ethnie dominante et les autres ethnies, entre l’État bourgeois et la société, entre le colonial et les colonisés, et donc entre l’exploitant et la nature. Le capitalisme exploite tout à la fois les hommes et la nature par une marchandisation extrême et par une exploitation sans limites des ressources naturelles. Le capitalisme est destructeur par nature de l’environnement. M. Bookchin popularise la thèse selon laquelle les 10 % du monde que sont les États occidentaux capitalistes pèsent 50 % des émissions carbone, ce qui est vrai dans les années 1970-1980, avant l’explosion économique des grands États émergents d’Asie.

Murray Bookchin voit la seule alternative au capitalisme non pas dans le socialisme d’État mais dans la société libertaire. La société écologique doit être une société sans hiérarchie et sans aucune domination. Le modèle social alternatif au capitalisme est celui qui lie l’écologie et le socialisme libertaire du communalisme et de la démocratie directe. La lettre manifeste qu’il écrira en 1980 théorise la distinction entre l’écologie « radicale » qu’il préconise et l’écologie « institutionnelle », réformiste ou étatiste, qu’il rejette comme étant une simple domination instrumentale de la nature opérée par des « entrepreneurs ». L’écologie doit être radicale, partisane de la destruction de toutes les structures de domination – États, bureaucraties, entreprises, patriarcat – et doit inventer une nouvelle société rassemblant les groupes « affinitaires » – féministes, antinucléaires, gays… –, pratiquant la démocratie directe et l’action directe. Cette pensée anarchiste, « proudhonienne », antipolitique, de l’écologie a marqué profondément toute la mouvance de l’écologie occidentale.

4. L’écologie « qualitative » et la doctrine de la décroissance

Il est apparu également une autre pensée radicale de l’écologie, en Amérique mais aussi en Scandinavie et en France, l’écologie « qualitative ». Au-delà de la critique du simple système économique du capitalisme, elle affirme l’incompatibilité radicale entre le mode de vie moderne « productiviste et consumériste » et la préservation de la planète.

En France, les pionniers des années 1970, Jacques Ellul, Bertrand de Jouvenel et André Gorz, nourrissent toute une école dont le porte-parole sera Pierre Rabhi. Dans le monde anglo-saxon, la pensée pionnière d’Ivan Illich sur « l’anticonsumérisme » et, en Angleterre, le philosophe non violent indien Satish Kumaren, en sont les principales figures. Mais l’approche la plus puissante est scandinave. Elle est celle du philosophe norvégien Arne Næss avec son ouvrage de référence de 1989, Écologie, style de vie. Inventeur du concept de l’écologie « profonde », Næss affirme la nécessité de la refonte de l’ensemble du système social et culturel à partir d’une révolution des consciences portée par un mouvement de la base, pour que l’homme arrive à se comporter de façon harmonieuse avec la nature. À partir d’une approche globale contre le modèle du « développement » fondé sur la croissance économique, l’écologie profonde développe un « projet de civilisation alternatif » de sortie des dépendances à la croissance. L’écologie devient une éthique nouvelle. Il s’agit de « vouloir moins ou autre chose ». La révolution écologique n’est en rien une nouvelle voie technologique, telle que la production d’énergies nouvelles, ni même une réforme du système économique. Cette révolution est culturelle, voire spirituelle. Elle doit conduire l’homme à se convaincre que la nature est non pas un moyen mais une fin en soi dont il fait partie. Une telle révolution est nécessaire pour que l’homme accepte la nécessité d’un changement de vie fondé sur la « sobriété », rejette de lui-même la croissance à tout crin, la surconsommation énergétique, limite ses besoins individuels, sorte du superflu et du consumérisme, interdise la publicité, mange moins carné et plus local, travaille moins pour vivre mieux, pratique les mobilités douces et bénéficie de la gratuité des transports publics. « L’écologie qualitative » est tout à la fois un projet culturel global et un projet de vie individuel.

Cette approche « qualitative » intégrale a inspiré la doctrine du retour à la terre, ainsi que celle de la « sobriété », et celle, très en vogue aujourd’hui, de la « décroissance ». Relayant l’approche du rapport du Club de Rome, l’écologie « profonde » est non seulement présente dans le mouvement écologique, mais a infusé partiellement toutes les sociétés occidentales, notamment les nouvelles générations.

5. L’écologie du « développement durable »

En 1987, le Secrétariat général des Nations unies demande à Gro Harlem Brundtland, ex-Première ministre de Norvège, un rapport sur la relation entre la protection de l’environnement et la croissance économique. L’ONU, dont la majorité des États sont en développement, ne veut pas se laisser enfermer dans la logique de la « croissance zéro » préconisée par le rapport du Club de Rome. L’objectif est de concilier écologie et développement, sans révolutionner les modes de production et les modes de vie. Le rapport Brundtland, intitulé Notre avenir à tous, va créer le concept du « développement durable ». Il s’agit d’assurer « un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre le futur ». À la différence de la philosophie du rapport Meadows, le rapport Brundtland, ratifié par les Nations unies, élabore une doctrine de la conciliation du développement économique et de la croissance avec la protection de l’environnement, de l’atmosphère, de l’eau, des sols et des espèces.

Le développement « durable » vise la recherche d’une écologie compatible avec la croissance par des choix technologiques et économiques. Le principal choix à opérer par les États doit être l’adoption de politiques de « transition énergétique » par la « décarbonation » et la sortie progressive des énergies fossiles, par l’orientation vers les énergies propres (dont le nucléaire) et renouvelables (l’éolien et le solaire) et par les technologies bas carbone.

Le rapport Brundtland et la doctrine du « développement durable » sont consacrés par l’ensemble des États lors du Sommet de la Terre de Rio de 1992. Il en découle les concepts de « croissance verte » et « d’économie verte ». Cette approche tout à la fois volontariste et pragmatique, éloignée des approches de l’écologie « radicale », devient au fil des ans la base doctrinale de l’action des organisations internationales et des États, et est reprise à son compte par l’Union européenne.

6. La thèse de « l’effondrement »

Tout à l’inverse de la doctrine du « développement durable » qui postule la possibilité d’un univers vivable à terme par l’accomplissement de la transition énergétique, il a surgi au début du 21e siècle la « collapsologie », nourrie du terreau de « l’écoanxiété ». Le thème central en est qu’une apocalypse mondiale est certaine et proche, probablement au milieu du siècle, et qu’il faut se préparer à l’après.

Les sources de cette doctrine de « l’effondrement » sont les ouvrages de l’anthropologue américain Jared Diamond, notamment Effondrement (2006), et de l’ingénieur agronome français Pablo Servigne (Comment tout peut s’effondrer, 2015).

La doctrine de « l’effondrement » pousse au bout d’elles-mêmes les analyses du rapport Meadows et annonce l’effondrement inéluctable du « système Terre » dans les années 2030-2040. Une telle affirmation repose sur l’instrumentalisation des scénarios scientifiques les plus noirs. Elle est en fait un « ultra-déterminisme », un raisonnement dans lequel les « points de bascule » sont tous certains et se cumuleront. Nous serions presque arrivés au point d’aboutissement d’une transition climatique brutale qui va rendre impossible l’adaptation des espèces. Car il devrait se produire dans les décennies prochaines un réchauffement accéléré qui provoquera à coup sûr une fonte rapide des banquises et des glaces, un dégel rapide du permafrost libérant le méthane enfoui, l’effondrement total de la biodiversité par la disparition des forêts tropicales, des animaux sauvages d’Afrique, des oiseaux des plaines céréalières.

Les partisans de « l’effondrisme » font le « pari pascalien » d’un chaos social lié à la grande fragilité des flux économiques et d’un effondrement de toute la société « thermo-industrielle ». Très bientôt, de façon inéluctable, du double fait du réchauffement climatique et de l’extinction de la biodiversité, le monde ne pourra plus assurer la fourniture des besoins de base de la population (alimentation, eau, logement, transports, chauffage) du fait de l’épuisement des ressources.

Il est donc trop tard pour sauver ce monde. Il faut désormais développer la « résilience » qui permettra à la minorité qui survivra de rebondir après l’effondrement. « Une autre fin du monde est possible. »

En France, les principaux représentants de cette thèse sont l’ancien ministre écologiste Yves Cochet, l’astrophysicien Aurélien Barrau, le philosophe Jean-Pierre Dupuy. Le mouvement écologiste de désobéissance civile Extinction rébellion, fondé en Grande-Bretagne en 2018 et devenu un mouvement international, est fortement influencé par la doctrine de « l’effondrement ».

La majorité des scientifiques critique la « thèse catastrophe » d’une atteinte prochaine de tous les « points de bascule », notamment l’emballement de l’effet de serre par la libération, très improbable à court terme, des stocks de méthane contenus dans les fonds marins et le sous-sol de la toundra sibérienne.

On pourrait considérer la collapsologie climatique comme un millénarisme « passif », une philosophie de l’attente du chaos climatique irréversible. Mais il existe une variante de « l’effondrisme », une sorte de « catastrophisme éclairé », qui écarte la certitude absolue de la catastrophe immédiate et parie sur la possibilité, face à la peur, d’un grand sursaut des opinions et des États.

7. L’écologie « légère » et le « greenwashing »

Il s’agit sous cette rubrique de pointer les différentes pratiques des entreprises, des communautés urbaines et des régions, développées depuis une vingtaine d’années et destinées à freiner les dégradations de l’environnement ou à réduire les émissions de gaz polluants. Ces pratiques individuelles, locales, ou sectorielles, sont, au mieux, des déclinaisons partielles de la doctrine du « développement durable », et, au pire, des faux semblants cosmétiques à usage commercial.

L’écologie « légère » conduit, par exemple, au concept de « smart city » très en usage dans les municipalités. La plantation d’arbres en ville ou les restrictions de circulation automobile en sont la principale illustration. Elle correspond aussi aux pratiques de « l’économie d’usage » opposée à une économie d’appropriation, par le covoiturage, le système de BlaBlaCar, ou la colocation durable. Elle s’appuie aussi sur le concept « d’économie circulaire », très en usage au Japon ou en Allemagne. Celle-ci repose sur la notion de « cycle », opposée à celle de « durée de vie limitée », par la « circulation » indéfinie de l’objet à partir du recyclage de ses composants réutilisables ainsi que par le développement de pratiques de réparation et de réemploi en seconde main, tel que le pratiquent les ressourceries.

Cette approche « au ras du sol » peut conduire à l’écologie superficielle du « greenwashing ». Celui-ci est le pansement écologique d’un « verdissage » simplement destiné à améliorer l’image de marque d’un produit ou d’une politique, en faisant croire à l’effort écologique sans qu’il y ait un réel effort. La caricature en est la pratique développée de peindre en vert des magasins, ou encore d’annoncer de fausses garanties de produits « sans colorants ».

Il faut le dire, l’écologie « légère », même pratiquée de façon sérieuse, n’est pas une solution du problème. Elle a une valeur pédagogique louable ainsi que des effets locaux indéniables, mais elle est tout au plus un ensemble de pratiques individuelles et locales conduisant à un simple recul des échéances climatiques.

8. La géo-ingénierie

La géo-ingénierie trouve ses origines dans les travaux des universités et laboratoires californiens. Il s’agit non plus d’agir en amont sur l’activité polluante des énergies fossiles par leur remplacement, mais d’agir en aval, à l’aide de la technologie, sur la réduction des stocks de gaz existants, ce qui a l’avantage de permettre le maintien d’une économie carbonée.

Ce qui apparaît au départ comme une aventure farfelue d’« apprentis sorciers » du climat est devenu un sujet sérieux et attractif. Il s’est formé en Amérique une coalition d’intérêts sur la géo-ingénierie rassemblant universités et laboratoires de recherche, sociétés pétrolières, Bill Gates et Elon Musk, tous ceux que l’on a appelés les « tièdes » de l’écologie. Mais le ralliement à la géo-ingénierie de P. Crutzen, le théoricien de l’anthropocène, ainsi que celui de divers États engagés dans la lutte climatique, notamment les États scandinaves, contribue à faire aujourd’hui de la géo-ingénierie une voie reconnue de la politique écologique, bien qu’aux antipodes de l’écologie classique concentrée sur la réduction des émissions de gaz polluants. La géo-ingénierie est aujourd’hui institutionnalisée par la présence d’ateliers dans les instances officielles ainsi que par son entrée dans les activités du GIEC.

Il s’agit d’une réparation artificielle du climat par des technologies futuristes. Celles-ci viendraient soit réduire le rayonnement solaire par le renvoi des rayons solaires au moyen de constellations de satellites-miroirs, soit détruire les stocks excessifs existants de carbone par l’envoi de soufre dans l’atmosphère, ou par des technologies de capture du carbone présent dans l’atmosphère et son stockage dans les fonds marins ou autres puits créés dans les sous-sols terrestres.

Une autre voie de la géo-ingénierie se trouve dans des mégaprojets portant sur la reforestation mondiale, tel le projet chinois dans le désert de Gobi, ou encore le projet africain de grande muraille verte de 8 000 km du Sénégal à Djibouti.

Une voie technologique nouvelle, distincte de la géo-ingénierie classique car étant une alternative aux énergies polluantes sans être pour autant une énergie renouvelable naturelle, est apparue avec la révolution de l’hydrogène vert produit par l’électrolyse de l’eau. Les autorités françaises voudraient en faire un axe fort du futur mix énergétique français.

Le débat reste ouvert entre la géo-ingénierie et l’écologie réductrice des GES, entre l’approche technologique et l’approche socio-économique. Cette approche très particulière de l’écologie est trop récente pour être sérieusement évaluée. Il n’est toujours pas acquis que la géo-ingénierie puisse constituer pour l’avenir un « plan B technologique » qui réglerait à lui seul l’urgence climatique. Pour l’heure, sa faisabilité technologique et son coût financier restent trop incertains pour se substituer totalement à la politique de réduction des activités polluantes. Elle demeure en bonne partie une approche « démiurgique ».

9. L’écoféminisme

Cette voie particulière de l’écologie, dont on parle beaucoup aujourd’hui, de par l’activité très médiatisée de Sandrine Rousseau, trouve ses origines dans une « circulation » franco-américaine. Son point de départ est français et date de 1974. Il a été conçu par l’écrivaine et militante Françoise d’Eaubonne, cofondatrice du MLF, le Mouvement de libération des femmes, dans son ouvrage de référence Le Féminisme ou la mort. Il s’agit pour elle d’articuler le lien entre écologie et féminisme en montrant à quel point la domination d’un système mâle sur le monde est la vraie source du problème écologique du fait de l’appropriation masculine des ressources naturelles du globe. La pensée de F. d’Eaubonne s’est exportée dans le monde anglo-saxon, a nourri le mouvement féministe américain et infusé une pensée américaine sur l’écoféminisme. Son porte-parole en est la philosophe Carolyn Merchant, autrice en 1980 de La Mort de la nature, qui développe la thèse selon laquelle notre globe est passé d’une terre organique et féminine à une machine morte socio-économique exploitée par l’homme. Elle a également inspiré le mouvement féministe du tiers monde, notamment l’Indienne Vandana Shiva du mouvement Chipko, laquelle affirme la puissance créatrice du lien femme/nature et la destruction de ce lien par « l’homme patriarcal ».

10. La nouvelle écologie « intégrale » du catholicisme

Bien après les églises protestantes, en contradiction avec la doctrine « développementaliste » de Vatican II reposant sur la Genèse et le « Emplissez la terre et dominez-la », le pape François, se voulant l’héritier d’un saint François d’Assise fraternisant avec les animaux et ami de la nature, révolutionne la doctrine catholique par l’encyclique Laudate Si de 2015. Ces mots de « Laudate Si » (« Loué sois-tu ») sont les premiers mots du Cantique des créatures, écrit au début du 13e siècle par François d’Assise. Le pape François reprend à son compte ce qu’il perçoit comme une approche « intégrale » de l’écologie exprimée par son lointain prédécesseur. Tout est lié, Dieu, les hommes, la nature avec « frère soleil et mère terre ». Le lien est également établi, tout comme chez François d’Assise, entre le combat contre la pauvreté, la dignité des exclus et la préservation de la nature.

Dans la foulée de l’encyclique, le Collège des Bernardins crée une chaire animée par le philosophe écologiste Bruno Latour, destinée à approfondir les conséquences de « Laudate Si » dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.

11. Une écologie, plusieurs courants

Ce tableau des multiples courants de pensée de l’écologisme exprime en fait le clivage entre trois grandes approches.

L’approche « radicale », mettant en avant antinucléaire, anticapitalisme et « décroissance », liant écologie et projet sociopolitique, est celle de la majorité des penseurs, des militants et des mouvements écologistes.

Tout à l’inverse, l’approche technologique de la géo-ingénierie, favorable au maintien du système économique existant et de la continuité des énergies fossiles, demeure très minoritaire mais est ardemment défendue par certains milieux scientifiques et de grands groupes multinationaux.

Quant à l’approche « réaliste » de la « transition climatique » initiée par la doctrine du « développement durable », combinant progrès et environnement, elle est devenue celle des États et des institutions internationales.

Mais l’observation montre que, dans la pratique, les approches « radicales » ont infusé partiellement toutes les sociétés et les États.

III. La « diplomatie écologique »

La géopolitique de l’écologie est très particulière. Alors que la géopolitique classique est animée par la rivalité et la compétition des États et de leurs intérêts nationaux, la prise de conscience des risques courus par tous du fait de la dégradation de la planète tout entière fait émerger très tôt la nécessité d’une « gouvernance mondiale » de l’écologie.

La mondialisation de la question environnementale conduit à la mondialisation de la politique écologique et, donc, à la recherche de consensus mondiaux entre tous les États. Mais cette « gouvernance écologique mondiale », qui sera instituée au sein du système des Nations unies, cohabite avec le poids des intérêts nationaux, lesquels seront d’autant plus prégnants que les décisions écologiques affectent directement les populations de ces États.

La géopolitique de l’écologie est en conséquence une oscillation constante entre les intérêts immédiats des États en relation avec leurs politiques intérieures et « l’intérêt général » de la préservation de la planète. Cette constante oscillation se reflète dans ce que l’on peut appeler « la diplomatie écologique », ce domaine nouveau de la diplomatie dont l’objet est la construction d’une gouvernance mondiale de l’environnement de la planète dans ses deux dimensions clés : le climat et la sauvegarde de la biodiversité.

Si l’écologisme émerge dans les sociétés dans les années 1960, il faut attendre les années 1980 pour que les institutions internationales, en fait le système onusien, puis les États et les acteurs politiques, commencent à se l’approprier. Mais il faut encore quelques dizaines d’années pour que les États sortent clairement de « l’insensibilité écologique » et que s’impose l’impératif d’une politique écologique substantielle.

Le moment clé de la diplomatie écologique est 2015, date de la Conférence de Paris. Il y a un « avant » et un « après » Conférence de Paris.

1. Avant 2015

La Conférence de Stockholm de juin 1972 sur l’environnement, initiée par les Nations unies, est le point de départ de la nouvelle diplomatie écologique. Elle est la première d’une série de rencontres, appelées « les Sommets de la Terre », qui deviennent le cadre d’un dialogue entre l’ensemble des États sur la question écologique et sur le « quoi faire ? ». La Conférence de Stockholm crée le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), futur cadre d’élaboration et de suivi de la politique écologique mondiale. Mais plus rien ne se passe pendant les quinze années qui suivent.

Il faut attendre 1987-1992 pour que se produise la première séquence d’une politique mondiale écologique.

Celle-ci débute par la « success story » du Protocole de Montréal d’interdiction des CFC, les chlorofluorocarbures présents dans l’industrie du froid et responsables d’un « trou » dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique. Grâce au consensus scientifique et à la découverte de solutions économiquement acceptables, les États ont accepté de procéder à la quasi-disparition des CFC, ce qui a permis le comblement du trou dans la couche d’ozone. Le Protocole de Montréal conçoit un mécanisme institutionnel inédit. Ce dernier combine le principe des « responsabilités différenciées » des États, permettant une certaine souplesse à l’égard des pays en développement, la progressivité des engagements, mais aussi un mécanisme coercitif comportant des sanctions. L’accord de Kigali de 2016 poursuit cette politique en s’appliquant aux gaz HFC, les hydrofluorocarbures, qui avaient remplacé les CFC et dont l’effet de serre est considérable.

1987 est également la date du rapport Brundtland sur le « développement durable ». On l’a dit, la doctrine du « développement durable » visant à concilier les objectifs de progrès et de croissance des États avec la nécessaire préservation de la planète, devient la Bible de l’action des États et du système onusien. Encore faut-il approfondir ce que signifie un « développement durable », ce qui passe par la définition précise du contenu d’une « transition écologique » réelle.

En 1988, le G7, le club assemblant les 7 grands États occidentaux, à l’initiative d’une Margaret Thatcher personnellement très impliquée sur la question climatique en tant qu’ancienne ingénieure chimiste, crée le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. L’objectif est d’établir un organisme en charge de l’évaluation climatique qui ne relève pas totalement de l’ONU, mais comprenne également des représentants des États. Du fait de sa composition hybride de scientifiques et de représentants de l’ensemble des États membres de l’ONU, le GIEC n’est pas un simple lobby écologique mais devient l’organisme de référence le plus sérieux en matière d’expertise sur l’écologie. Le premier rapport du GIEC date de 1990, année où la température s’est déjà haussée de + 0,5 degré depuis les débuts de l’ère industrielle. Reprenant à son compte les analyses de J. Hansen, ce rapport affirme clairement la responsabilité humaine dans l’accroissement de la concentration atmosphérique des GES et évoque la prévision d’une hausse de température de + 0,2 degré par décennie étant donné le rythme de la pollution en cours.

En 1992, se tient à Rio le 3e Sommet de la Terre, un Sommet très médiatique auquel participent 100 chefs d’État, 1 500 ONG, 10 000 journalistes. Vingt ans après Stockholm, Rio crée la « diplomatie écologique » en fixant les principes et le cadre de travail d’une politique écologique mondiale.

Le Sommet de Rio reconnaît officiellement, pour la première fois, la responsabilité de l’homme dans le dérèglement climatique. Puis Rio formule la nécessité pour tous les acteurs étatiques et non étatiques d’agir immédiatement pour la réduction de leurs émissions de GES afin de stabiliser le climat à la fin du siècle. Est ainsi formulée pour la première fois de façon explicite la nécessité de la réduction sensible et immédiate des émissions mondiales de CO2, un processus exactement à l’inverse de la courbe énergétique en cours.

Pour autant, les États présents à Rio rejettent clairement les approches radicales de l’écologie en consacrant officiellement la doctrine du « développement durable ». Nombre d’États, notamment les développés et les émergents, sont sur la même ligne. Il faut agir pour l’écologie, certes, mais il faut en même temps préserver la croissance et le développement.

Rio est également le moment où les États reconnaissent officiellement la dimension mondiale de l’écologie. « La dégradation de l’environnement concerne tous les États et doit donc être traitée au niveau mondial », déclare le texte final de Rio. Ils établissent ainsi la sauvegarde de la planète comme un « bien public ». La conséquence de cette approche mondialisée acceptée par l’ensemble des États est que ces derniers choisissent le multilatéralisme onusien comme cadre de travail pour traiter la question du climat. Ils établissent pour ce faire trois conventions internationales. La première est la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la CCNUCC, cadre actuel de l’agenda climatique mondial. C’est la CCNUCC qui génère le processus des COP (« Conference of the parties »), un processus proprement « révolutionnaire » de réunions annuelles assemblant non seulement États membres, mais également entreprises, ONG et scientifiques. La première COP se tient à Berlin en 1995.

Rio adopte également une convention-cadre sur la diversité biologique et une convention sur la lutte contre la désertification.

Rio donne ainsi naissance de façon concrète à la diplomatie écologique. Il faut attendre encore 23 années et la COP de Paris de 2015 pour que cette diplomatie écologique se concrétise sous la forme d’engagements précis et spécifiques de la part des États. Car on est encore dans les années 1990-2000, une époque où le débat fait rage, notamment en Amérique, entre la nouvelle mouvance écologique qui vient d’émerger et le courant « climatosceptique » rassemblant scientifiques et milieux industriels et pétroliers.

En 1997, le grand débat écologique américain atteint un point culminant avec la « bataille de Kyoto ». À l’initiative du vice-président de Bill Clinton, Al Gore, un ancien sénateur complètement converti aux analyses de J. Hansen, il est adopté dans le cadre de la 3e COP de Kyoto le Protocole de Kyoto sur le changement climatique. Il s’agit du premier acte de la diplomatie écologique, du premier engagement précis sur le climat. Kyoto affiche un objectif de réduction de 5 % des émissions de GES des pays développés pour 2012. Sous la présidence de G. W. Bush et la pression des milieux industriels et pétroliers, le Sénat américain rejette la ratification du Protocole.

En 2002, lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, le président Jacques Chirac a cette formule devenue célèbre qui décrit bien la réalité : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. » En 2009, la COP 15 de Copenhague est un échec qui marque les esprits. Alors qu’il est nécessaire d’obtenir un accord de remplacement du Protocole de Kyoto, le résultat à Copenhague est négatif. Certes, tout le monde s’accorde sur l’objectif d’un non-dépassement de + 2 degrés du climat d’ici 2100, mais il n’est adopté ni agenda précis ni engagements quantitatifs de réduction des émissions.

2. La Conférence de Paris de 2015

En 2015, 25 ans après le Sommet de Rio et la Convention-Cadre de 1992, c’est l’étape historique de la Convention de Paris. Celle-ci adopte le premier traité international sur la réduction des émissions, traité signé par presque tous les États.

L’aboutissement positif de la COP de Paris est accompli grâce à la coopération de la CCNUCC et de la Présidence française. Le traité est aussi rendu possible par l’accord « historique » conclu en 2014, en amont de Paris, entre l’ancienne et la nouvelle grande puissance pollueuse, l’Amérique d’Obama, grand défenseur d’une politique climatique, et la Chine de Xi Jiping, désormais convertie à l’intérêt chinois d’une stratégie climatique interne et internationale.

Jusqu’alors, la thèse chinoise était l’affirmation de la responsabilité climatique de l’Occident et, par voie de conséquence, une responsabilité « commune mais différenciée » des États en matière climatique. L’attitude chinoise provoque l’échec de la COP de Copenhague de 2009. Mais, entre Copenhague et Paris, la Chine change complètement de politique écologique. L’enjeu écologique est né en Chine de l’état catastrophique du pays en matière climatique lié à la double explosion industrielle et urbaine et des fortes réactions de la population. Un grand débat interne s’ouvre au sein du PCC, dans les années 2010, sur la relation développement/climat et sur la question de la réduction des GES chinois. L’illustration de cette nouvelle politique est donnée par la création de la ville « toute électrique » de Shenzhen. De ce fait, la Chine passe en quelques années du rôle du principal contestataire de la diplomatie écologique à celui de « bon élève ». Ce changement de pied stratégique la conduit à conclure un accord sur les bonnes pratiques écologiques avec l’Amérique, en 2014, un an avant la Conférence de Paris.

Cet accord est destiné à montrer au monde ce qu’est la nouvelle politique chinoise.

L’accord de Paris est une convention globale et universelle adoptée par les 196 États membres de la CCNUCC. Mais il va beaucoup plus loin. La réunion de Paris assemble tous les acteurs du climat, milieux scientifiques, entreprises, ONG, États. Elle fonctionne sous la forme d’une « gouvernance mondiale » dans laquelle discussions et négociations entremêlent diplomates, scientifiques, représentants d’ONG et institutions internationales.

Le dispositif clé de l’accord de Paris est l’adoption, pour la première fois, d’un plafonnement quantifié des émissions de GES. L’accord de Paris s’articule clairement autour de « la temporalité climatique ». Celle-ci repose sur la trilogie court terme/moyen terme/long terme, c’est-à-dire le lien entre l’objectif de long terme de la stabilisation du climat à la fin du siècle et les actions de moyen terme et de court terme nécessaires pour atteindre cet objectif. L’action climatique est une action immédiate et forte pour un résultat futur. L’accord va se faire entre les États sur 3 dates, 2100, 2050 et 2030. L’engagement pris par les États vise à réduire leurs émissions pour obtenir à long terme, en 2100, une augmentation de la température « bien en dessous de 2 degrés pour atteindre + 1,5 degré » par rapport aux niveaux préindustriels. L’atteinte de cet objectif affiché du seuil de + 1,5 degré de la température en 2100, arraché de haute lutte à Paris par les petits États insulaires les plus vulnérables, passe par un volontarisme immédiat pour réduire d’au moins 45 % les émissions de GES d’ici 2030, de façon à réaliser la « neutralité carbone » en 2050. La « neutralité carbone », l’objectif à moyen terme affiché pour 2050, signifie la réalisation d’un équilibre émission/absorption par les « puits » naturels et artificiels, destinés à stabiliser le stock de GES contenus dans l’atmosphère.

La Conférence de Paris de 2015, sous la présidence de Laurent Fabius.

La Conférence de Paris s’accorde sur le fait qu’une telle trajectoire passe par la mise en œuvre par les États d’un processus énergétique largement décarboné. L’adoption nécessaire de politiques de « transition énergétique » consiste en un remplacement effectif, et non pas en une addition, des énergies carbonées par des énergies « propres ». Idéalement, une transition substantielle et rapide inclurait une réorganisation complète des étapes de la chaîne énergétique – production, stockage, distribution, consommation « sobre ». Mais, fidèles à la doctrine du « développement durable », les États, notamment les pays développés et les émergents, se refusent à sortir de la croissance et du développement économique et, donc, à exclure rapidement les énergies carbonées du charbon, du pétrole et du gaz sur lesquelles ils ont bâti leurs politiques. Si tous les États sont désormais disposés à fixer des objectifs quantitatifs, chacun veut rester maître de la gestion de sa propre transition climatique.

La Conférence de Paris cherche donc à concilier la mise en œuvre de ses objectifs climatiques avec l’attitude de la majorité des États qui rejettent la contrainte des engagements.

La solution est apportée par la présidence française animée par le couple Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et Laurence Tubiana, coordinatrice de la Conférence. Aucun mécanisme de l’accord n’oblige les États à fixer des objectifs nationaux. Mais chaque État doit élaborer régulièrement une contribution volontaire sous la forme d’une feuille de route nationale actualisée. Les différentes « contributions déterminées au niveau national », les NDC (« nationally determined contribution »), reposent sur le libre choix des moyens et ne font pas l’objet de contraintes. Formellement, les NDC ne sont ni contraignantes ni soumises à contrôle pour leur exécution. Mais elles sont transmises auprès du Secrétariat de la CCNUCC et elles doivent être actualisées et améliorées au moins tous les cinq ans. Il devrait ainsi se créer progressivement un cercle vertueux, tant par le rôle de régulateur exercé par la CCNUCC que par le suivi régulier des COP annuelles assurant un rôle essentiel de pression médiatique.

La Conférence de Paris établit par ailleurs un principe essentiel, celui de la « responsabilité commune mais différenciée ». Si tous les États doivent soumettre des NDC, la diplomatie écologique inscrite dans l’accord de Paris différencie les États selon leurs responsabilités spécifiques en matière de pollution, au rebours du principe classique de l’égalité des États.

3. Les COP de Glasgow et de Charm el-Cheikh (2015-2022).

On est aujourd’hui dans l’après-Paris. La diplomatie écologique fonctionne désormais au regard de la feuille de route adoptée à la Conférence de Paris. Précisément, cela signifie que les COP annuelles post-Paris évaluent les objectifs de réduction des GES affichés par les États dans leurs NDC. Les deux COP qui suivent Paris, Glasgow et Charm el-Cheikh, illustrent la diversité et la difficulté de l’engagement écologique des États.

Entre 2015 et 2020, le retrait de l’Amérique de Trump de l’accord de Paris entraîne l’attitude négative de plusieurs pays, tels le Brésil et l’Australie, à l’encontre de l’accord. Ce retrait casse la dynamique de l’accord, ce qui va s’exprimer dans le piétinement des COP d’après-Paris. De plus, la politique énergétique de la Chine et des grands émergents, créant une pression de la demande de charbon en Asie au profit des centrales électriques au charbon, conduit au constat « du non-respect de la trajectoire de Paris », selon la formule de Laurent Fabius, et donc au risque d’une trajectoire de +3 degrés à la fin du siècle, très loin de l’objectif de Paris !

Mais, après la période négative de l’après-Paris accentuée par l’annulation des COP du fait du Covid, la COP 26 de Glasgow de 2021 marque un réengagement climatique des États, notamment illustré par le retour à l’accord de Paris de l’Amérique de Biden. Entretemps, en 2020, la hausse de la température approche le + 1 degré par rapport à la norme de référence.

En relation avec les travaux du GIEC sur la différence entre + 2 degrés et + 1,5 degré, le premier résultat important de Glasgow est la fixation de l’objectif pour la fin du siècle à +1,5 degré, ce qui est plus contraignant que la formule de l’accord de Paris plus floue en parlant de « bien en dessous de 2 degrés ».

Le gros travail de Glasgow est l’évaluation des NDC des États. L’accord de Paris stipule qu’au bout de cinq années, la COP doit évaluer les NDC déposées ou révisées par les États après Paris. 150 pays ont déposé à Glasgow de nouvelles NDC pour 2030. 80 d’entre eux ont bien fixé leur neutralité carbone pour la période 2050-2060. De façon générale, ces promesses d’une neutralité carbone pour 2050-2060 ne sont pas déclinées concrètement dans les plans de décarbonation pour 2030. La bonne trajectoire supposerait une accélération des réductions dans les années 2020-2030. Or cette accélération des réductions de GES d’ici 2020 n’est le fait que des grands pollueurs « historiques », le monde occidental de l’Amérique et de l’UE, et quelques États latino-américains.

Au total, les NDC présentées à Glasgow n’aboutissent qu’à une accélération limitée des efforts de réduction des GES à l’horizon 2030 des États membres de l’accord de Paris. Selon les projections établies, on devrait aboutir à une hausse des émissions de 15 % d’ici 2030, à l’inverse de la réduction de 45 % nécessaire pour obtenir + 1,5 degré en 2100. Le décalage est encore très important entre les engagements pris par les États sur leurs réductions de GES et le niveau des efforts nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050, qui passe par une inversion des émissions dès les années 2020. Selon les contributions nationales, 54 gigatonnes de CO2 seront émises alors que pas plus de 26 gigatonnes ne devraient être produites en 2030 pour avoir la neutralité carbone en 2050 et atteindre le seuil de + 1,5 degré à la fin du siècle.

Cela dit, Glasgow est le premier grand débat explicite sur la fin des énergies fossiles. Il révèle l’attitude négative ou frileuse des grands producteurs pétroliers et gaziers que sont l’Arabie saoudite, l’Australie, la Russie, ainsi que celle des grands producteurs et consommateurs de charbon pour leurs centrales électriques que sont la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud. Les exportateurs d’énergies fossiles que sont la Russie, les pays du Golfe, l’Australie sont les grands « traînards écologiques », ceux qui présentent des NDC neutres mais aux « empreintes » très élevées. Ces oppositions empêcheront l’adoption de l’objectif de « la sortie progressive » du charbon, mais il sera quand même obtenu la fixation de l’objectif de « la diminution progressive ». Rappelons que le charbon est encore aujourd’hui producteur de 40 % de l’électricité mondiale.

Le débat sur le pétrole et le gaz permet d’obtenir l’engagement des États de la fin des financements publics des projets d’énergies fossiles.

Glasgow est un échec sur un autre dossier sensible, celui de la « justice climatique », un dossier au cœur de la relation entre les pays développés, riches et principaux pollueurs, et les pays pauvres et vulnérables aux dégradations climatiques. L’Amérique et les pays de l’Union européenne refusent d’accepter le concept de « pertes irréparables et dommages réparables » mis en avant par les pays « vulnérables », dont plusieurs États insulaires du Pacifique, qui subissent de plein fouet l’élévation du niveau de la mer ou les effets des cyclones liés aux émissions « historiques » de ces grands pays développés.

À ce rejet occidental de la problématique des « pertes et dommages », s’ajoute la promesse non tenue de l’accord de Paris du fonds climat de 100 Mds $/an destiné à aider à « l’adaptation » climatique des pays en développement.

La COP de Glasgow de 2021 a permis de relancer une diplomatie écologique en panne depuis la Conférence de Paris. Mais il n’est pas possible de dire qu’elle a construit une trajectoire qui permettrait d’atteindre l’objectif de Paris précisé à Glasgow, à savoir le +1,5  degré.

En réalité, le respect des objectifs de Paris n’est plus vraiment l’affaire des pollueurs historiques, l’Amérique et l’Europe occidentale, qui ont décidé après Paris et Glasgow de politiques de réduction effective de 45 % de leurs GES d’ici 2030. C’est d’abord devenu l’affaire des nouveaux grands pollueurs, c’est-à-dire la Russie ainsi que les grands États émergents (Chine, Inde, Afrique du Sud, ou Australie). Les années à venir au cours desquelles ces grands États pollueurs devront présenter leurs nouvelles NDC seront cruciales.

La COP 27 de Charm el-Cheikh de novembre 2022 est une COP de transition entre la COP de Glasgow, premier rendez-vous bilan de l’application des engagements pris à Paris, et la COP de Dubaï de 2023 qui sera le moment programmé d’un nouveau bilan mondial des efforts accomplis par les États. Il ne fallait donc pas en attendre beaucoup. D’autant plus que cette COP 27 s’est déroulée dans le contexte très défavorable de la double crise mondiale actuelle : la crise du multilatéralisme liée à la rupture complète de la relation entre les deux plus gros pollueurs mondiaux américain et chinois ; et la crise énergétique et économique provoquée par la guerre d’Ukraine. La restriction du gaz russe a conduit les États européens à relancer le charbon, au détriment des promesses faites à Glasgow sur la sortie progressive de l’énergie charbonnière, et à se ruer sur le gaz naturel liquéfié.

Cette double crise ne pouvait qu’accroître la frilosité de nombre d’États à la veille de Charm el-Cheikh et reléguer la diplomatie écologique à l’arrière-plan de leurs préoccupations.

Au final, même s’il y a eu quelques progrès concrets dans les déclarations de quelques États, notamment celle de l’Inde, qui a présenté son plan détaillé d’arrivée à la neutralité carbone en 2070, il y a eu très peu d’actualisation des NDC des États pollueurs, et il n’y a eu aucune date fixée pour le pic des émissions de GES, comme l’aurait souhaité l’UE. De plus, contrairement à la précédente COP de Glasgow, il n’y a eu aucune mention sur la sortie des énergies fossiles du fait de l’inaction d’une présidence égyptienne elle-même pro-énergies fossiles et de l’opposition conjuguée des pays du Golfe et de la Chine.

Mais il y a eu un point positif de la COP de Charm el-Cheikh. Il s’agit de l’aboutissement au finish d’un résultat très attendu depuis Paris par les pays du sud, notamment les pays africains et les petits pays vulnérables du Pacifique, sur la prise en compte du principe de la « justice climatique ». Il s’agit du dossier sensible du « financement des pertes irréparables et des dommages réparables », dont le principe a été établi à Paris. Le débat porte sur le principe et sur les modalités d’un nouveau mécanisme financier destiné à réparer les dommages causés aux pays tout à la fois pauvres et vulnérables aux impacts climatiques liés aux émissions des pays développés, principaux pollueurs, à l’image des inondations au Nigéria de septembre 2022 et des terribles inondations pakistanaises de l’été 2022 ayant provoqué la mort de plus de 3 000 personnes et dont les dégâts s’élèvent à 10 milliards d’euros. Dans la foulée du discours d’Emmanuel Macron sur la « justesse de ce débat », rompant ainsi avec la réserve traditionnelle affichée par les pays occidentaux sur ce sujet depuis Paris, une initiative européenne a permis d’aboutir à un accord accepté par l’Amérique sur le principe de la création d’un fonds spécifique « pertes et dommages » destiné à aider les pays en développement particulièrement vulnérables. Ce fonds devrait voir le jour lors de la COP de Dubaï de 2023.

4. La géopolitique de la diplomatie écologique : les groupes d’États

Dès la Conférence de Rio de 1992, la diplomatie écologique se structure autour de différents groupes d’États, qui se constituent en fonction de la place respective de chaque État dans le processus du réchauffement climatique. Ces groupes bâtissent une doctrine écologique adaptée aux intérêts propres de chaque État.

a. Amérique et Europe occidentale

Le premier groupe est celui des pays occidentaux qui se subdivise entre Amérique et Union européenne.

L’Amérique et l’Europe occidentale sont les « pollueurs historiques », porteurs d’une responsabilité « historique » dans la dégradation de la planète. Ce sont eux qui fabriquent au 20e siècle le climat de ce début du 21e siècle. Ils demeurent aujourd’hui de gros pollueurs. Même si le monde occidental est passé de 60 % à 35 % des émissions mondiales entre 1960 et le début du 21e siècle du fait de l’irruption des nouveaux « gros pollueurs » asiatiques, il émet encore les plus grandes quantités de CO2 par habitant.

C’est pourtant dans le monde occidental que le tournant écologique s’accomplit d’abord. Poussés à agir par une partie de leurs opinions publiques et par les ONG écologistes, les États occidentaux deviennent les premiers initiateurs d’une politique écologique, ce qui s’inscrit dans le premier traité écologique du Protocole de Kyoto.

L’Amérique du Nord émet aujourd’hui 14 % des émissions mondiales. Le pic américain a été atteint en 2005 et, depuis lors, la courbe américaine est déclinante. Cette courbe déclinante est liée à la fermeture massive des centrales à charbon remplacées par le gaz de schiste. À l’Amérique de Trump du retrait de l’accord de Paris succède l’Amérique de Biden et sa politique écologique active. Celle-ci est incarnée par le « plan climat » ambitieux présenté durant l’été 2022, dont l’objectif central est la décarbonation de l’économie américaine d’ici 2030. Si, d’un côté, l’économie et la société américaines restent très énergivores, de nombreux acteurs locaux, plusieurs grands secteurs industriels accomplissant actuellement leur révolution technologique « pro-écolo », de nombreuses banques, le secteur de la recherche soutiennent tous la politique ambitieuse de la nouvelle présidence américaine. Cette orientation écologique dynamique va dans le sens des intérêts de plus en plus de grands secteurs économiques américains devenus des acteurs majeurs de la transition énergétique, tels les investissements considérables effectués dans la voiture électrique, l’éolien, le solaire.

La NDC américaine présentée par Joe Biden à Glasgow annonce la neutralité carbone en 2040-2050 par une réduction de 50 % des GES d’ici 2030, un objectif ambitieux au-delà des 45 % de Paris. Mais, en parallèle, la diplomatie de l’envoyé spécial pour l’écologie, John Kerry, consiste à presser alliés et partenaires commerciaux de l’Amérique de s’aligner sur les mêmes objectifs écologiques qu’elle afin de ne pas subir la concurrence commerciale de ces pays. Le Canada de Trudeau vient d’accepter une réduction de ses émissions de 45 % d’ici 2030, ainsi que la Corée du Sud et le Japon.

L’UE est pour sa part la région du monde la plus avancée dans sa politique écologique.

Responsable de 8 % des émissions mondiales, elle produit déjà une électricité provenant à 65 % de sources décarbonées. À Glasgow, l’UE affirme l’objectif d’un respect total de l’accord de Paris par une réduction effective de ses émissions de non plus 45 % mais de 55 % d’ici 2030, afin d’atteindre vraiment la neutralité carbone d’ici 2050. Encore faut-il que chaque État membre définisse sa politique interne en ce sens. La France partage cet objectif européen d’une neutralité carbone en 2050 en considérant que les deux lois de 2015 et 2019 définissent une stratégie bas carbone (SNBC) et que sa future législation sur l’accélération des énergies renouvelables, ainsi que sur le développement du nucléaire, permettront d’atteindre cet objectif.

Depuis Glasgow, l’Union européenne, déjà en pointe sur la politique climatique, a accompli un nouveau pas écologique important par le projet d’accord « Paquet climat » de juin 2022 qui vient d’être adopté par les États membres, la Commission et le Parlement européen. Les 27 ont décidé la « révolution écologique de l’automobile » par le basculement vers le véhicule 100 % électrique d’ici 2035 et la suppression de la vente des voitures essence, diesel et hybride. Il s’agit d’un défi gigantesque pour les constructeurs automobiles européens face à la future déferlante des petites voitures électriques chinoises.

D’autre part, l’UE est le premier grand acteur à avoir adopté une taxe carbone aussi ambitieuse. Le mécanisme de la taxe carbone, établi en 2005 pour les 12 000 plus gros industriels polluants, sera étendu aux transports aériens et maritimes, aux poids lourds, aux bâtiments publics. Mais la peur d’une nouvelle crise des « gilets jaunes », comme celle vécue par la France en 2018, a conduit les 27 à reculer sur l’application de la taxe carbone aux véhicules et aux logements particuliers. Il a aussi été décidé une réduction, voire l’extinction en 2032, des quotas gratuits d’émission auxquels ont droit les groupes industriels. En complément, il est établi un marché carbone développé, c’est-à-dire un système d’échange de quotas d’émission entre gros acteurs pollueurs et acteurs moins polluants, dont l’objectif est d’accroître l’intérêt financier d’une décarbonation accélérée. De plus, pour mettre à égalité l’industrie européenne désormais taxée et l’industrie mondiale, ce mécanisme d’une taxe carbone pesant sur les principaux acteurs économiques européens s’accompagne de la création d’une taxe carbone aux frontières sur les importations carbonées venant des pays tiers, un mécanisme unique au monde destiné à créer un processus d’ajustement carbone aux frontières et à inciter les pays tiers à taxer à leur tour leurs produits polluants.

En parallèle, est établi un Fonds social pour le climat de 60 milliards d’euros destiné à aider les pays les plus en retard en matière de réduction des émissions, telle la Pologne.

Le « Paquet climat » de l’UE vise les objectifs concrets d’une réduction de 60 % des émissions industrielles à 2030, la sortie totale du charbon, la décarbonation de l’industrie par l’hydrogène, la rénovation des bâtiments publics et privés.

Il demeure cependant une grosse incertitude sur ce le mix énergétique futur de l’Union européenne, tant les États membres sont profondément divisés entre « pronucléaires » et « antinucléaires ». Mais la guerre d’Ukraine et l’arrêt brutal du gaz russe obligent chaque pays européen à clarifier très vite sa future politique énergétique.

b. Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud…)

Il est un second groupe d’États qui rassemble les nouveaux grands pollueurs. Il s’agit des principaux pays émergents, en premier lieu la Chine et l’Inde, accompagnés par le Brésil et l’Afrique du Sud. Le développement économique de ces États s’effectue par une grande consommation d’énergies fossiles. Des pays comme le Brésil, le Mexique, l’Afrique du Sud produisent 90 % de leur électricité par des centrales à charbon. Cette réalité est actuellement incontournable. Elle a conduit la COP de Glasgow à leur accorder un droit d’accroissement de leurs émissions jusqu’au-delà de 2030. Car il est impossible de pénaliser les pays émergents en plein développement, et donc en pleine trajectoire énergétique croissante.

La Chine produit aujourd’hui 32 % des émissions, c’est-à-dire plus que l’addition de l’Amérique et de l’Europe occidentale. Mais, on l’a vu, elle a accompli son virage écologique en amont de la Conférence de Paris. Actuellement, elle est sur une ligne de crête et développe tout à la fois la construction de centrales à charbon et des technologies décarbonées.

La Chine est devenue « l’empire des centrales à charbon », à l’intérieur du pays comme à l’extérieur par ses exportations de centrales thermiques, de l’Égypte aux Balkans. En 2016, il existait plus de 100 projets de centrales à charbon dans 25 pays, dont la plupart produites par la Chine. Après le tournant écologique accompli en 2014, la NDC chinoise présentée à Glasgow a annoncé le pic de ses émissions en 2030 et l’objectif d’une neutralité carbone en 2060. Autre élément important, la Chine a annoncé l’arrêt de l’exportation de ses centrales à charbon et la conclusion d’un partenariat avec l’Afrique sur la transition énergétique. La Chine est d’autant plus intéressée à la promotion de sa nouvelle politique environnementale qu’elle souhaite devenir le leader mondial de la production des principaux instruments de cette transition énergétique. Elle produit et vend aujourd’hui au monde les trois quarts des panneaux solaires, 50 % des éoliennes et les deux tiers des batteries électriques au lithium. Tous ces éléments de la nouvelle politique chinoise s’accompagnent de « l’agenda vert » des routes de la soie.

L’Inde produit près de 8 % des émissions, à l’égale de l’Union européenne. L’Inde est en pleine croissance. Du fait de son sous-équipement énergétique, cette croissance économique passe par une forte croissance de sa consommation d’énergie fossile, notamment le charbon et le pétrole, et donc une explosion des GES produits. Les conséquences sont l’accroissement des dégâts climatiques, l’augmentation des moussons et la fonte de ses glaciers. L’Inde est encore loin de son pic de croissance, et donc du pic de ses émissions. Jusqu’alors, l’Inde était arc-boutée sur le principe « d’équité », du droit des États émergents à leur développement et le rejet de tout engagement. Mais une bonne nouvelle est le tournant de la politique énergétique décidée tout récemment par son Premier ministre. À Glasgow, Narendra Modi a fixé l’objectif de la neutralité carbone indienne en 2070, mais sans fixer des objectifs de réduction pour 2030. C’est tardif, mais c’est mieux que rien. En parallèle, l’Inde se lance dans une grande politique nucléaire et affirme son intérêt pour l’énergie solaire.

Il est un troisième groupe de pays, celui des pays producteurs d’énergies fossiles, pétrole et gaz, les « perdants » d’une transition énergétique rapide. Ce sont les pays du Golfe et la Russie, tous très opposés à toute politique de restriction des énergies fossiles, comme ils l’ont manifesté à Charm el-Cheikh.

c. Les activistes (Bangladesh, petits États du Pacifique…)

Il est un quatrième groupe d’États, celui des « activistes » d’une écologie mondiale d’envergure. Il s’agit des États les plus vulnérables aux dommages causés par les changements climatiques, telle l’élévation du niveau marin. On retrouve dans ce groupe « activiste » le Bangladesh ainsi que les petits États insulaires du Pacifique.

d. L’ Afrique

L’Afrique ne forme pas vraiment un « bloc » écologique propre dans la mesure où elle comprend tout à la fois des pays émergents pollueurs, l’Afrique du Sud ou le Nigéria, et des pays passifs face aux risques climatiques et « vulnérables ».

L’Afrique, du fait de son développement limité, est le continent le moins responsable du réchauffement climatique. Les pays du continent africain n’émettent actuellement que 4 % des émissions de GES. Mais ils sont les plus affectés par le dérèglement climatique car ils sont les premiers atteints par les effets du réchauffement climatique du fait de leur latitude. Au Sahel, les températures augmentent 1,5 fois plus vite que dans le reste du monde. Ils subissent de plein fouet les impacts climatiques (chaleurs extrêmes, sécheresses, inondations, déclin des récoltes céréalières, famines comme en Somalie).

Mais les niveaux, encore bas, d’émissions connaissent pour les plus développés d’entre eux des courbes en croissance rapide, ce qui est le cas des économies très carbonées d’Algérie, d’Angola, du Nigéria, de l’Afrique du Sud, à l’inverse des futurs producteurs « d’énergie verte » comme le Congo. La question posée est celle du développement de l’Afrique sans passer par la case des énergies fossiles. Et compte tenu de la réalité d’un continent africain où deux tiers des pays appartiennent à la catégorie des pays les moins avancés et qui concentre 60 % de l’extrême pauvreté mondiale, un tel processus ne peut passer que par des financements climatiques extérieurs au profit de l’Afrique, importants et continus. On en est très loin aujourd’hui.

e. Des coalitions d’intérêts

Aux groupes d’États apparus à Rio s’ajoute depuis la COP de Paris une approche par « club » ou par « coalition ». Il y aura la « coalition des 100 » contre le charbon, la « coalition » contre la déforestation, le « club européen » contre la poursuite des véhicules thermiques, l’initiative occidentale acceptée par 100 pays mais refusée par la Chine, l’Inde et la Russie, d’une réduction d’ici 2030 de 30 % des rejets du méthane (gaz produit pour 45 % par l’agriculture, le bétail et la riziculture, pour 40 % par l’exploitation des énergies fossiles, et pour 20 % par les décharges alimentaires). Le méthane est un gaz moins durable mais plus chaud que le carbone, et il est responsable d’un quart du réchauffement.

5. La COP de la biodiversité, le « parent pauvre » de la diplomatie écologique

La préservation de la planète, outre le combat climatique, passe aussi par le combat pour la préservation de la biodiversité mondiale. Celle-ci est essentielle en elle-même, mais elle est également essentielle au climat car elle constitue le domaine privilégié des puits naturels de carbone. Parallèlement à la Convention sur le climat et à la COP climat, le Sommet de Rio a adopté une Convention sur la protection de la biodiversité et une COP biodiversité. Mais, si la protection du climat donne lieu à une mobilisation importante, une grande médiatisation et une avancée réelle de la part des États, il n’en est pas de même de la protection de la biodiversité. En fait, ce combat a été jusqu’ici assez mal engagé tant du fait de l’indifférence des États que du moindre intérêt des grandes associations et des ONG. L’ONG WWF n’a pas l’audience ni l’influence de Greenpeace. La biodiversité n’a pas trouvé sa Greta Thunberg et, à l’exception de la forêt amazonienne, aucune grande campagne mondiale n’a eu lieu en matière de biodiversité. Peut-être parce que la disparition des espèces animales ou végétales n’engendre pas la même anxiété que le climat. De ce fait, il n’y a eu aucune avancée diplomatique substantielle entre Rio et aujourd’hui.

Il faut cependant mentionner le travail de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, une organisation privée créée dès 1948 et faisant dialoguer États, agences et ONG. L’UICN publie régulièrement la liste rouge des espèces menacées, des primates africains aux chardonnerets et oiseaux des champs européens. Elle est à l’origine de plusieurs conventions internationales protectrices des zones humides, des faunes sauvages menacées d’extinction, de la lutte contre le braconnage. L’UICN trouve son répondant institutionnel en 2012 avec l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité lancée par l’ONU et devenue aujourd’hui « le GIEC de la biodiversité ».

Il faut aussi parler de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique, laquelle s’est tenu mi-décembre 2022 à Montréal. On a évoqué un tournant pour la biodiversité équivalent à celui de la COP de Paris sur le climat. Certes, pour la première fois, les États membres se sont accordés sur un cadre global et relativement contraignant concernant l’objectif de protection de 30 % des espèces terrestres et maritimes, ainsi que sur des objectifs précis touchant une vingtaine de domaines concernant plantes, animaux, sols et océans de façon à éviter la destruction des écosystèmes mondiaux. Ainsi, il est établi un objectif de réduction programmée des pesticides, des engrais polluants, des eaux usées. Mais la COP de Montréal n’a pas pu fixer les indicateurs de suivi et de contrôle de l’action des États, ce qu’a fait la COP de Paris avec le mécanisme des NDC régulières et actualisées. Autrement dit, la COP de Montréal a fixé un certain nombre de cibles mais pas d’indicateurs de suivi permettant d’évaluer l’action des États. Elle a fait la moitié du chemin, il reste l’autre moitié à accomplir. Ce sera le travail de la COP 16.

Il faut enfin mentionner le développement tout récent de ce que l’on appelle les « droits de la nature ». Du concept de « la Terre mère » développé par les premiers théoriciens de l’écologie, on est en train de passer, par le travail de juristes et l’action de collectivités locales, à la théorie juridique des droits de la nature. Le pionnier en a été le juriste américain Christopher Stone, lorsque ce dernier a développé en 1972 la thèse d’une personnalité morale attribuée aux éléments de notre environnement. « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? » s’est-il interrogé à propos de la protection des séquoias géants de Californie face à Walt Disney et en y répondant positivement. Aujourd’hui, la création d’une personnalité juridique a été donnée à certains fleuves, certaines forêts, certaines zones sensibles, telle la lagune salée de Mar Menor près de Murcie. L’opposition des droits de la nature aux droits des humains est-elle une mauvaise réponse à une bonne question ? Plutôt que des « droits de la nature », ne faudrait-il pas vouloir une politique et une police de la nature ? Un vrai débat est en cours sur cette question.

La biodiversité détruite. Depuis la fin du 17e siècle, le dodo, oiseau natif de l’île Maurice, a disparu totalement. Il a été chassé par l’homme. Les forêts qui constituaient son habitat ont été détruites par l’homme. Les porcs, les chiens, les rats et les macaques, que l’homme a introduits sur l’île, ont pillé les nids de cet oiseau.

IV. Quelques réflexions finales

1. La diplomatie écologique, du blablabla ?

La formule a été employée par Greta Thunberg pour qualifier les débats et les conclusions des différentes COP climat.

Le dernier rapport du GIEC de 2022 fait le constat de la non-atteinte de la bonne trajectoire, malgré les politiques et les évolutions accomplies, malgré le ralentissement du rythme des émissions. Il faudrait idéalement atteindre un pic des émissions en 2025, puis réduire de 45 % d’ici 2030 par la diminution de 95 % du charbon, de 60 % du pétrole et de 45 % du gaz en 2050, tout en déployant rapidement les technologies de captage et de stockage des GES, si l’on veut atteindre la neutralité carbone en 2050 et, par là, l’objectif de Paris confirmé à Glasgow du + 1,5 degré en 2100.

Or, on l’a dit, les engagements pris par les États en 2015 à Paris et en 2021 à Glasgow, même s’ils sont tenus et concrétisés d’ici 2030, permettraient au mieux d’atteindre un peu plus de + 2 degrés. Aujourd’hui, le décalage est net entre l’objectif du + 1,5 degré et la courbe actuelle du réchauffement. Il y a un trop grand décalage entre l’explosion de la demande mondiale d’énergie largement remplie par les combustibles fossiles, notamment en Asie, et les engagements et les investissements climatiques actuels. La continuation actuelle de l’augmentation mondiale des émissions de GES, notamment dues aux grands États émergents, explique les dates très tardives ou non fixées d’arrivée à l’objectif clé de la neutralité carbone.

Du coup, le débat existe sur l’efficacité des COP, simples grands-messes diplomatiques ou lieux de réelles avancées. « On traîne depuis 50 ans, depuis Stockholm », disent en chœur scientifiques et milieux écologiques. Les COP se suivent, mais le charbon, s’il est en repli en Europe et aux États-Unis, est en développement en Chine et en Inde, les énergies renouvelables sont en hausse mais trop modérément, l’évolution des transports est positive sur le maritime mais pas pour l’aérien, la voiture électrique est en plein essor mais également les SUV, ces 4×4 de ville, le bâtiment commence à pratiquer plus d’économies énergétiques mais pour toujours plus de constructions, la taxe carbone commence à exister mais elle n’est pas suffisamment dissuasive car trop basse et pas universelle, l’aide au développement pour l’adaptation écologique des pays pauvres est très insuffisante.

Pour comprendre la lenteur et la difficulté des politiques écologiques, il faut souligner les particularités d’une politique écologique et rappeler la réalité politique.

2. Les difficultés propres de l’écologie

La première difficulté d’une politique climatique est la temporalité très particulière du processus climatique. Si le climat d’aujourd’hui est le produit des émissions d’il y a 40-50 ans, les pollutions d’aujourd’hui ne produiront que le climat de la fin du siècle. Une politique écologique repose donc sur des actions à court terme pour l’obtention de résultats à très long terme. Une telle politique cumule ainsi deux grosses difficultés : la sensibilité forte de décisions immédiates affectant la vie quotidienne des entreprises et des individus, au regard d’une visibilité très lointaine des résultats de ces décisions. À la différence des politiques habituelles, il n’y a pas de résultats immédiats des politiques écologiques, il s’agit d’une action difficile immédiate pour un résultat futur. Autrement dit, le décalage entre la sensibilité immédiate des politiques écologiques et le futur lointain des résultats de ces politiques n’est pas très « vendable » politiquement.

La seconde difficulté d’une politique climatique efficiente est qu’il s’agit d’un chantier gigantesque qui bouscule habitudes et intérêts, qui contredit le poids d’un modèle économique productif hérité du 19e siècle, qui contredit des modes de vie séculaires fondés sur la croissance, l’emploi, la consommation, la richesse, autant de modes de vie suivis par l’ensemble des sociétés mondiales. La transition écologique visant les objectifs affichés à Paris et à Glasgow, c’est-à-dire les – 45 % d’émissions pour 2030, passe par une révolution des deux facettes de l’économie : la production et la consommation. Elle nécessite des transformations substantielles des grandes activités consommatrices des énergies fossiles, l’industrie, l’agriculture, les transports, le bâtiment, ainsi qu’une évolution forte de la consommation énergétique, notamment le chauffage individuel et la consommation alimentaire, vers plus de « sobriété ». La transition énergétique affecte non seulement les intérêts économiques de chaque pays, leurs groupes industriels, leurs exploitations agricoles, mais tout autant chaque individu producteur et consommateur. Toute politique écologique sérieuse affecterait directement les agriculteurs de l’Amérique, de l’Europe comme de l’Amazonie, les industriels d’Amérique, d’Inde et de Chine, les élus bétonneurs de tous les continents, les transporteurs aériens et routiers, les automobilistes du monde entier, les pêcheurs industriels japonais et espagnols, tous les grands consommateurs de viande.

De ce fait, toute politique écologique a un double caractère, « laborieux » et « punitif ». Cette problématique « punitive » de l’écologie est mondiale, car si la responsabilité historique du monde développé occidental est essentielle dans la dégradation passée, aujourd’hui, la responsabilité des économies émergentes, chinoise, indienne, brésilienne, et autres, toutes basées sur les énergies fossiles et peu regardantes sur la préservation de l’environnement, est essentielle dans la dégradation future.

La troisième difficulté d’une politique climatique est son coût financier. Une vraie transition écologique n’est pas simplement un passage à une « croissance verte », mais un changement profond des modes de vie qui nécessiterait des investissements très importants, imposant des arbitrages financiers difficiles et des efforts fiscaux à tous. Il est acquis qu’il faudrait, pour accomplir la transition écologique nécessaire à la neutralité carbone en 2050, un « mur d’investissement », soit 3 % de PIB supplémentaires, qui passerait par une réallocation entre aujourd’hui et 2030 des flux financiers mondiaux de la consommation à l’investissement écologique. Mais quel est l’État prêt à une baisse du pouvoir d’achat immédiate de sa population pour un résultat positif dans plus de 30 ans ? Qui est disposé à faire payer à ses citoyens les émissions produites par une taxe carbone significative, c’est-à-dire la tonne à 100 euros ? Chacun est-il prêt à financer une voiture électrique ou une pompe à chaleur plutôt que ses loisirs et sa consommation ? De plus, les pays occidentaux sont-ils prêts à aider la Chine et l’Inde à accélérer la fermeture de leurs usines à charbon, ainsi qu’à aider l’Afrique à s’engager dans un développement décarboné, et encore à financer les dommages subis par les pays vulnérables ?

La réalité politique quotidienne n’est pas favorable à une écologie forte. « On comprend ce qu’il faut faire, mais on ne comprend pas comment être réélu si on le fait. » Cette phrase d’un sénateur américain pourrait être reprise par de très nombreux politiques, tant « la fin du mois », c’est-à-dire les questions de chômage, de production, de croissance, de consommation, sont des impératifs premiers de toutes les politiques par rapport à la question de « la fin du monde «.

Même si la prise de conscience de l’impératif écologique s’est progressivement imposée à l’ensemble des États, ceux-ci ne vont pas prendre facilement les décisions qui s’imposent.

3. L’écologie, une « circulation vertueuse » entre des acteurs « militants » et des acteurs « décisionnels »

La réalité politique est que l’adoption de politiques écologiques ne peut être que le fait des États. Seuls les États, parce qu’ils sont dotés de la compétence globale en matière économique et sociale du fait de leur souveraineté, disposent des leviers politiques, réglementaires et financiers pour agir sur les grands dossiers de l’environnement.

Mais aucun autre domaine de la vie internationale que l’écologie ne fait l’objet d’une telle « démocratisation », d’une telle implication des acteurs non gouvernementaux. Ceux-ci sont autant de « lanceurs d’alerte ». Ce seront les milieux scientifiques, des chercheurs en sciences humaines, des philosophes, les organisations et mouvements écologistes, ainsi que certaines institutions internationales qui prennent les devants et font preuve d’initiative. La pétition de 15 000 scientifiques en 2017 dénonçant le dépassement des indicateurs mondiaux, les premières « Marches pour le climat » apparues en 2018, rassemblant en France plus de 100 000 personnes, le GIEC et la médiatisation de ses rapports, les ONG écologiques, acteurs essentiels d’une mobilisation des individus dans tous les pays démocratiques, Greta Thunberg, cette jeune fille suédoise ayant décidé de faire la grève de l’école avant de devenir la vedette de la COP 24 de Katowice de 2018 puis devenue l’icône climatique mobilisatrice des jeunesses européennes, sont autant d’illustrations fortes de cette poussée « démocratique » de la base sur le haut dans le processus écologique. Il faut noter en ce sens le combat juridique des ONG sur « l’inaction climatique des États » s’agissait du respect des engagements pris par les États dans l’accord de Paris. En 2021, le Tribunal administratif de Paris a condamné l’État français pour « inaction climatique », puis le Conseil d’État a rendu sa décision dans l’affaire « Grande-Synthe » à la suite du recours de la ville de Grande-Synthe sur le « préjudice écologique » causé par le non-respect des engagements pris par l’État sur les émissions de GES entre 2015 et 2018, en enjoignant les autorités gouvernementales « à prendre des mesures supplémentaires pour atteindre l’objectif issu de l’accord de Paris » d’ici mars 2022. Tout dernièrement, une action a été engagée contre la BNP en tant que principal banquier des majors pétrolières. Des condamnations d’États ont également eu lieu devant les juges néerlandais et allemands.

On peut parler d’une « génération climat » actuelle au sein des classes moyennes des pays occidentaux, marquée par un pessimisme influencé par la théorie de « l’effondrement » et vivant le traumatisme de « l’écoanxiété ». Cette génération climat occidentale pèse, par son activisme, sur les institutions de chaque pays. Mais il faudrait qu’une telle « génération climat » se développe aussi au sein des sociétés des grands nouveaux pollueurs, en Chine, en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil. Ce n’est pas encore le cas.

Il va donc se produire une « circulation » entre ces différents acteurs « militants » fortement sensibilisés par l’impératif écologique et les acteurs décisionnels que sont les États.

C’est cette circulation qui aboutit aux COP annuelles. Certes, la diplomatie écologique n’est pas une vraie gouvernance climatique. Certes, les COP sont déclaratives et non pas décisionnelles. Car elles sont le cadre de négociation de compromis entre des groupes d’États aux situations très différentes. D’où la lenteur frustrante des avancées concrètes, aux yeux des militants et des ONG écolos. Mais les COP ne sont que le reflet de la réalité internationale et des limites d’un droit international qui reste très largement dominé par le principe cardinal de la souveraineté des États. Pour autant, les COP sont la seule institution internationale qui agrège les États, les entreprises, les ONG, les milieux scientifiques.

Depuis Paris, il s’est effectivement développé une dynamique créative entre la diplomatie écologique des États et le militantisme écologique des autres acteurs. L’accord de Paris s’impose progressivement en grande partie grâce à la pression croissante de la base, des sociétés civiles et des ONG. L’accord de Paris est devenu aujourd’hui un « juge de paix », la référence reconnue par tous en matière de politique climatique mondiale. Si le respect des engagements pris par les États à Paris et à la suite de Paris ne peut se faire par la contrainte juridique de mécanismes de contrôle et de sanction, les plans d’action climatique affichés par les États que sont les NDC, leur révision obligatoire tous les 5 ans, les rapports d’exécution établis par l’organisme onusien de la CCNUCC, les pressions constantes des acteurs non gouvernementaux créent une « circularité vertueuse » entre les gouvernements et les milieux non gouvernementaux. Le résultat est positif. Il y a 30 ans, il n’y avait pratiquement pas d’énergies renouvelables, alors qu’aujourd’hui, elles représentent environ un quart de l’énergie produite dans le monde.

Certes, il a fallu cinquante années pour passer de la Conférence initiale de Stockholm aux engagements actuels sur le climat.

4. Un certain optimisme

Pour conclure cette analyse sur une note d’optimisme, il faut dire deux choses.

La première consiste à rappeler ce que disent les spécialistes, à savoir que la bataille climatique n’est pas binaire mais linéaire. Elle n’est pas gagnée ou perdue, elle se joue sur chaque décimale de réchauffement en plus ou en moins. Même si l’action écologique est, comme on l’a vu, compliquée, lente, aléatoire, même si l’objectif des + 1,5 degré, la boussole de l’action climatique depuis l’accord de Paris, est devenu quasiment inatteignable du fait des volumes actuels d’émissions et de l’effort colossal impossible qui devrait être accompli par les grands pays émergents pour réduire les émissions mondiales de 45 % d’ici 2030, il existe encore aujourd’hui une fenêtre d’opportunité qui permettrait, selon les décisions prises dans la prochaine décennie par les plus gros pollueurs, de limiter la hausse climatique au-dessous des +2 degrés pour la fin du siècle. Parce que le réchauffement climatique est graduel, parce que chaque dixième de degré compte, comme le martèle chaque rapport du GIEC, le moindre progrès dans la limitation du réchauffement est essentiel. Un monde connaissant à la fin du siècle un réchauffement de + 1,7 degré ne sera pas du tout le même qu’un monde ayant une température de + 2 degrés. Or, selon le dernier rapport du GIEC, l’objectif de demeurer au-dessous du seuil des 2 degrés, seuil critique conduisant à une dégradation certaine d’ampleur inconnue, demeure atteignable si les politiques vont en ce sens. Ceci signifie concrètement une politique globale de réduction des émissions carbonées d’au moins 40 % d’ici 2030 par la combinaison de l’usage accéléré des technologies existantes à bas carbone (nucléaire, solaire et éolien), ainsi que par la pratique accrue d’une « sobriété » des modes de vie.

Encore faut-il qu’il existe, de Washington à Pékin, de Pretoria à New Delhi, de Paris à Berlin, la « faisabilité politique » de tels choix. Et c’est la seconde raison qui permet un optimisme mesuré. Il semble bien que, depuis ces toutes dernières années marquées par l’accumulation des catastrophes climatiques, l’ensemble des principales puissances pollueuses « historiques » et « nouvelles » soient en train de prendre conscience de la centralité de l’échéance de 2030 pour mettre en œuvre des économies largement décarbonées afin d’atteindre la neutralité carbone autour de 2050-2060.

5. La géopolitique de l’écologie : une coopération mondiale, une compétition mondiale, une conflictualité nouvelle

L’entrée dans l’ère de l’anthropocène a engendré une géopolitique nouvelle très particulière. Celle-ci est faite de trois dimensions : une nouvelle forme de coopération mondiale dont on vient d’analyser la naissance, une nouvelle compétition de puissances qui s’amorce, une nouvelle forme de conflits qui va émerger.

Cette nouvelle forme de coopération mondiale a émergé ces 50 dernières années à partir de la perception par l’ensemble des États d’un risque mondial urgent. Elle a donné naissance à la diplomatie écologique, une diplomatie très « révolutionnaire ». Celle-ci est en train de bâtir une sorte de gouvernance mondiale de l’environnement associant de multiples acteurs, États, milieux scientifiques et ONG. L’illustration principale en est fournie par le couple des COP et du GIEC, auquel s’ajoute l’action d’influence de Greenpeace et de quelques autres ONG activistes. Il n’en demeure pas moins que l’on retrouve la géopolitique classique dans le fait que la relation américano-chinoise demeure essentielle pour l’avancée des négociations climatiques futures.

En parallèle, une compétition féroce entre les principales puissances est en cours de développement pour la maîtrise des matériaux et des technologies liés aux énergies non fossiles, le lithium ou le nickel par exemple, les panneaux solaires, l’automobile électrique, l’hydrogène « vert ». Il émerge ainsi une géopolitique des futures puissances énergétiques. Hier, il s’agissait des pays pétroliers et gaziers du Golfe, de la Russie, de l’Iran ou du Venezuela. Demain, ce sera la Chine et l’Amérique qui vient d’afficher sa volonté dominatrice avec le projet de loi de l’IRA. Que fera alors l’Union européenne ?

Enfin, demain, une troisième dimension de cette géopolitique de l’écologie émergera, celle des conflits écologiques. Ces conflits nouveaux seront liés soit à la rareté accrue de produits vitaux, telles l’eau ou l’alimentation, soit à la dégradation d’écosystèmes induisant de nouveaux conflits de voisinage ou de nouvelles migrations. L’eau, cet « or bleu », commence à générer des guerres de l’eau dans la « diagonale de la soif » allant du Brésil à la Chine en passant par le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Inde. Demain, les risques de la guerre des terres entre éleveurs et agriculteurs, des guerres alimentaires, des migrations écologiques dont la population du Bangladesh aura été l’élément précurseur, s’accroîtront de façon mécanique.

C’est ce qui adviendra si l’action des États reste en-deçà des enjeux vitaux pour l’humanité que l’écologie a mis en lumière. Mais les décisions prises aujourd’hui et dans le passé, quand elles ont été coordonnées et inscrites immédiatement dans la réalité, ont pu faire de l’écologie un chemin que les relations internationales pourraient emprunter pour œuvrer à tous les aspects de la survie de l’humanité.

Le 25 décembre 2022.

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